Pas touche à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique : c’est, en substance, le message d’anniversaire adressé par le président François Hollande aux détracteurs de l’institution qu’il a fait naître il y a dix ans, dans les remous de l’affaire Cahuzac.
L’organe de la déontologie des responsables publics, bâti sur les cendres d’institutions qui avaient failli à prévenir l’un des plus retentissants scandales politiques de la décennie, a pris du relief depuis sa création “extrêmement douloureuse”, selon les termes de François Hollande, qui a donné une interview exclusive à POLITICO.
La soixantaine de collaborateurs de la Haute autorité sont en effet chargés de veiller au contrôle des mobilités vers le privé des ministres et de leurs collaborateurs, à la transparence des déclarations d’intérêts des élus avant et après leur mandat, ou encore à la bonne tenue d’un registre des activités de lobbying. Ils pourraient même, à terme, se mêler de contrôler les conflits d’intérêts des consultants des cabinets de conseil qui travaillent avec l’Etat.
De fait, le régulateur qui a aussi pris du galon au moment de l’affaire Fillon, est désormais l’une des institutions les plus redoutées, scrutées et donc critiquées de la vie politique, au point même de faire l’objet de résistances de la part d’anciens ministres ou hauts fonctionnaires qui lui reprochent de tomber, au prétexte de la prévention des conflits d’intérêts, dans l’excès de pouvoir ou encore la dictature de la transparence.
“Qui en fait la déploration ?”, ironise François Hollande. “Ce sont soit des élus ou des candidats à des fonctions électives qui peuvent se dire qu’il y a trop de contraintes et de charges par rapport à ce que peut être une vocation de servir le pays, ou bien des talents qui voudraient rentrer dans l’administration et en seraient dissuadés car ils voudraient faire ensuite une carrière dans le secteur privé”, explique-t-il.
La vocation avant tout donc ? “Mais bien sûr qu’entrer dans la vie politique, c’est une charge ! En termes d’horaire, de vie, et même de rémunération, contrairement à ce que l’on dit. Mais je n’ai pas remarqué que ça avait tari le nombre de candidatures aux élections législatives voire à l’élection présidentielle”, constate l’ancien président socialiste.
“Si l’on s’engage dans la politique, c’est parce qu’on a des idées et qu’on y croit”, affirme l’homme politique avant de fustiger ceux qui accusent la HATVP de nuire autant à la politique qu’à la qualité du personnel administratif qui l’accompagne.
“Ce n’est pas parce qu’il y aura une HATVP qu’un [talent] sera dissuadé de rejoindre l’administration, sauf à penser qu’il ne vient que pour quelques années. Or le but (…) c’est quand même d’y passer du temps (…), ce n’est pas seulement pour venir gonfler son carnet d’adresses ou accélérer sa carrière…”
Trop de collaborateurs ministériels
François Hollande n’a officiellement jamais mis les pieds dans le secteur privé et appartient à une espèce en voie de disparition au sein de l’élite politico-administrative française : sorti de l’ENA en 1980 et directement entré à la Cour des comptes, il a commencé en parallèle son cursus honorum politique dès ses études en adhérant à l’UNEF et au Parti socialiste. Un parcours tout ce qu’il y avait de plus classique jusqu’à la “disruption” du personnel politique par un certain Emmanuel Macron en 2017.
Les élites administratives de la macronie sont symboliquement marquées par la suppression de l’ENA ainsi qu’une plus grande ouverture revendiquée au secteur privé — dont le recours à des cabinets de conseil ou des contractuels-consultants est l’une des manifestations, tout comme la composition originale du groupe parlementaire La République en Marche en 2017.
Ce n’est pourtant pas vers ces fonctionnaires et élus d’un nouveau genre que le regard de François Hollande se tourne, s’agissant d’identifier les risques de conflits d’intérêts. L’ancien président considère que, malgré les écarts de salaire plus grands entre cadres du public et du privé qu’à son époque, la “vocation de servir l’Etat demeure” chez certains au-delà de l’appât du gain. Il se montre en revanche plus critique avec un personnel politique qui voit son passage dans le public comme un accélérateur de carrière.
“Je pense qu’il y a trop de conseillers ministériels”, tranche l’ancien président, tout en rappelant qu’Emmanuel Macron avait pourtant tôt fait le vœu d’en réduire le nombre. “Ce qui peut heurter, c’est des personnes qui ne sont pas membres de l’administration et qui par les positions, les informations qu’elles ont pu acquérir, vont ensuite dans le secteur privé.”
Face à l’émotion que suscitent certaines reconversions, comme celles d’anciens membres du ministère de l’Agriculture retournés vers le lobby des pesticides, “une façon de réduire cette chronique sur les pantouflages est de limiter drastiquement les compositions de cabinets ministériels qui ont enflé depuis plusieurs années significativement”, répète Hollande.
“Faire confiance à l’administration”
Statistiquement, les ponts avec le secteur privé sont devenus une constante dans les cabinets. Sur un échantillon de 688 conseillers sortants du premier mandat d’Emmanuel Macron analysé par POLITICO, au minimum 219 (soit 31%) ont eu au moins une expérience de plus de 6 mois dans le privé avant d’arriver dans un cabinet, restant dans le même ordre de grandeur que sous Hollande, qui comptait 30,3% de conseillers passés par le privé et le parapublic. C’est, à en juger par ce même échantillon, dans ces mêmes proportions qu’ils y retournent.
L’ancien président suggère de “faire davantage confiance à l’administration”. Cette dernière est cependant érodée au point même de voir l’un de ses représentants à la tête de la HATVP, Didier Migaud, accusé de vouloir empêcher certains de retrouver du travail ou de bloquer l’arrivée de personnel compétent dans la sphère publique. Des accusations que rejette en bloc l’ancien président.
“Didier Migaud, qui a été lui-même parlementaire [socialiste, NDLR], premier président de la Cour des Comptes, n’est pas suspect de vouloir entraver l’action de l’administration ou de souhaiter jeter le discrédit sur les responsables politiques”, le défend François Hollande.
Le haut fonctionnaire a pu être critiqué pour ses ambitions d’étendre le contrôle de la HATVP, mais Hollande y voit simplement sa volonté “d’assurer un bon fonctionnement de la démocratie et d’éviter la suspicion”, et non une remise en cause du respect aux élus.
“Il n’y a rien de pire dans une démocratie que la rumeur, le sous-entendu, la supputation, et grâce à la HATVP et des mécanismes qui peuvent encore être améliorés, il s’agit de lever le soupçon — et c’est je crois au bénéfice de ceux qui exercent des fonctions”, exprime-t-il.
Une question d’exemplarité
L’ancien président note cependant que malgré la transparence, le soupçon demeure notamment en raison de pratiques “qui ne peuvent être comprises”, comme le passage rapide de ministres vers des entreprises hier sous leur contrôle.
“Quand on s’engage en politique, ce n’est pas forcément pour la vie, je comprends très bien le souci de permettre des passerelles (….), mais il faut que cela puisse être mis en rapport avec les responsabilités exercées jusque-là.”
Sur 55 anciens ministres du premier mandat d’Emmanuel Macron, près de la moitié est retournée vers le privé. Mais Hollande considère qu’un “ancien Premier ministre ou président peut parfaitement aller diriger une entreprise s’il a cette vocation”.
Même pour des entreprises russes, à l’instar de François Fillon, quelques mois après avoir quitté Matignon ? Pour François Hollande, il faut “faire attention de savoir quelle est cette entreprise, ce qu’elle fait, quel a été son rapport avec l’Etat et, si c’est une entreprise étrangère, qui la contrôle”.
Et d’ajouter, à l’attention de son prédécesseur Nicolas Sarkozy et de son successeur : “Il peut y avoir une autre vie après la carrière politique mais comme on a fait de la politique, il y a toujours l’exigence d’exemplarité.”
Océane Herrero et Paul de Villepin ont contribué à cet article.