LONDRES — Keir Starmer affirme vouloir “reprendre à zéro” les relations entre le Royaume-Uni et l’Europe. Mais deux mois après le début de son mandat, l’Union européenne commence à se demander s’il le pense vraiment.
Des sources au sommet des instances européennes et des diplomates ont déclaré à POLITICO qu’ils doutaient de plus en plus qu’au-delà de la rhétorique chaleureuse, le nouveau Premier ministre britannique soit très désireux de revenir sur la rupture du Brexit avec l’Europe.
Son rejet rapide des priorités de l’UE, telles que la mise en place d’un programme de mobilité des jeunes et la réintégration dans Erasmus, a été mal perçu dans les capitales européennes et a entamé leur optimisme vis-à-vis du nouveau gouvernement britannique.
Les espoirs étaient grands sur le continent que le nouveau Premier ministre adopte une approche différente de celle de ses prédécesseurs conservateurs ; en matière de rhétorique et d’ambiance, la nouvelle méthode du Royaume-Uni a été “relativement positive”, relate une source haut placée dans les instances européennes à POLITICO.
“Le problème, cependant, c’est que les gens commencent à penser qu’il s’agit d’une façade, car lorsqu’on passe à des thématiques spécifiques — qu’il s’agisse de la mobilité des jeunes ou d’Erasmus — la réponse est toujours ‘non’.”
Un diplomate européen, à qui nous avons également accordé l’anonymat pour qu’il puisse s’exprimer librement, ajoute que le manque d’intérêt du nouveau gouvernement pour le retour du programme Erasmus en particulier “a bien été noté à Bruxelles” et parmi les Etats membres. Et cela n’a pas été bien perçu.
La réintégration dans le programme d’échange d’étudiants est considérée dans la capitale de l’UE comme le genre de décision à peu de frais, dont on aurait pu s’attendre qu’un gouvernement britannique proeuropéen prenne. Les personnes interrogées se sont dites “surpris[es]” par cet affront, révélé par POLITICO.
“Une rhétorique constructive, c’est très bien, mais tant que rien ne change fondamentalement dans la position du Royaume-Uni, je ne vois pas en quoi le statu quo bouge”, commente un deuxième diplomate.
La camisole de force de Starmer
Bruxelles a toujours été parfaitement conscient que les lignes rouges de Starmer — pas de marché unique, d’union douanière ou de libre circulation — excluent une relation vraiment étroite du même type que celles entre l’UE et la Norvège ou l’Islande.
Mais l’espoir était que dans ces limites plutôt restrictives, fixées pour protéger les travaillistes des critiques selon lesquelles ils défiaient le résultat du référendum de 2016, le maximum pourrait être atteint. Au lieu de cela, depuis son entrée en fonction, la camisole de force politique de Starmer semble s’être resserrée.
Une déclaration publique classique au début de l’année 2024, selon laquelle le Parti travailliste n’avait “aucun plan” pour un programme de mobilité des jeunes, s’est transformée en un avis “extrêmement négatif” sur cette mesure lors de réunions en coulisses, retrace le diplomate européen.
Au sommet des instances européennes, la réaction négative des hauts responsables travaillistes à cette idée — qui permettrait aux 18-30 ans d’obtenir des visas abordables pour vivre à l’étranger pendant quatre ans maximum — a tellement déconcerté, qu’on a pensé qu’il devait y avoir “un certain degré de confusion” sur la proposition côté britannique.
Lorsqu’il a été interrogé en public sur le programme de mobilité des jeunes, Starmer a comparé l’idée à un retour à la liberté de circulation, à laquelle il est opposé. Mais conscientes que le leader travailliste est prudent et ne veut rien signer qui pourrait renforcer les pro-Brexit et anti-immigration de Reform UK — qui a vu son soutien augmenter dans les bastions du Labour — les capitales européennes sont en train de revoir le plan de la Commission dans l’espoir d’arriver à quelque chose que le Premier ministre britannique pourrait approuver.
Un porte-parole du gouvernement britannique a déclaré à POLITICO : “Nous avons eu un contact très positif lors de nos premières conversations, alors que nous travaillons à reprendre à zéro les relations avec nos amis européens pour renforcer les liens, garantir un pacte de sécurité à grande échelle et aborder les barrières commerciales.”
Ce que veut Bruxelles
En effet, Keir Starmer a aussi d’autres priorités et promesses dans son programme qui pourraient rapprocher le Royaume-Uni de l’UE. Il souhaite un accord sur les contrôles sanitaires pour réduire la bureaucratie à la frontière de Douvres, la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles pour aider le secteur britannique des services à faire des affaires à l’étranger, et moins de restrictions pour les artistes britanniques qui font des tournées sur le continent.
De l’autre côté de la Manche, cependant, on craint que le Premier ministre n’ait pas compris que l’Union européenne a ses propres priorités. Parmi celles-ci, la mobilité des jeunes apparaît comme la plus grande “contrepartie”.
Après avoir fait le tour des capitales de l’UE, de Berlin à Dublin, pour faire passer son message de “remise à zéro”, ce n’est probablement pas les débuts que Starmer souhaitait.
Ces visites elles-mêmes ont fait naître à Bruxelles le soupçon que Londres pourrait essayer de trouver des moyens de contourner la Commission européenne en se rendant directement dans les capitales nationales, une préoccupation constante de l’UE lorsqu’elle traite avec des dirigeants britanniques.
Cette idée que Bruxelles pourrait être contournée est “totalement inexacte et juridiquement erronée”, rétorque une source travaillant dans les hautes sphères européennes, qui rappelle que les Etats membres auraient, quoi qu’il en soit, une influence “presque nulle” étant donné que le mandat de négociation a déjà été fixé.
Starmer doit encore rencontrer la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui est toujours occupée à mettre sur pied sa nouvelle Commission et ne devrait pas la faire approuver par le Parlement européen avant décembre. Les projets d’une rencontre entre les deux dirigeants en août ou en septembre ont été reportés à l’automne, voire à l’hiver, en raison d’un calendrier serré à Bruxelles.
L’absence de réunion n’est pas un affront, insistent les sources européennes interrogées. “Von der Leyen n’a pas le temps de rencontrer qui que ce soit pour le moment, elle doit mettre en place une équipe”, tranche la première source parmi les hautes sphères bruxelloises citée plus haut, ajoutant que, de toute façon, “elle n’aurait absolument rien à dire” tant que sa Commission ne serait pas en place.
Des problèmes en perspective ?
Anand Menon, directeur du think tank UK in a Changing Europe, considère que Bruxelles devrait attendre que les négociations commencent réellement avant de porter un jugement sur ce que le Royaume-Uni acceptera ou non.
“Le Royaume-Uni n’a personne avec qui négocier tant qu’une nouvelle Commission n’est pas en place”, souligne-t-il à POLITICO. “D’autant plus que nous ne sommes pas une priorité pour l’UE.”
Menon estime que les hauts responsables européens devraient “probablement la boucler un peu” et “peut-être s’atteler à la mise en place d’un exécutif” avec lequel le gouvernement britannique pourrait s’entretenir.
En public, l’ambiance autour de cette remise à zéro des relations est toujours positive, les ministres britanniques se préparant à plus d’allers-retours sur le continent dans les mois à venir. Mais des problèmes pourraient survenir “si ces paroles ne sont pas transformées en actes lorsque nous passerons de la rhétorique aux affaires”, prévient notre source haut placée dans les instances européennes.
Si ce n’est pas le cas, la remise à zéro de Starmer pourrait commencer à ressembler à un replay des huit dernières années.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.