PARIS — Même s’il fait partie des secrétaires généraux délégués, Pascal Canfin n’est pas vraiment chez lui à Renaissance. C’est dans une salle de réunion quelconque, avec seulement une affiche de la tête de liste aux européennes Valérie Hayer au mur, qu’il a reçu POLITICO mardi matin au siège du parti présidentiel.
Son vrai bureau est à Bruxelles. Depuis cinq ans, il préside la commission Environnement du Parlement européen, faisant de lui l’un des députés les plus influents de la législature qui s’achève.
Cela n’a pas empêché le camp présidentiel de le faire poireauter pour le scrutin du 9 juin. Pire : Canfin a arraché sa quatrième place sur la liste en menaçant de claquer la porte.
En interne, beaucoup le jugeaient pourtant incontournable. Mais d’autres doutaient : fallait-il mettre en avant l’un des artisans du Pacte vert, au risque d’alimenter, en pleine crise agricole, le procès en déconnexion fait aux élus européens ?
Canfin, lui, refuse de renier son bilan, et assume d’avoir joué le jeu du compromis européen.
Notamment face à Raphaël Glucksmann, tête de liste PS-Place publique, qui prend des points depuis des semaines dans les sondages au détriment de la liste macroniste.
“Il y a un nœud qu’on n’arrive pas encore à ‘craquer’, qui est de dénoncer cette incohérence complète entre ses propos d’estrade et la réalité de ses votes”, concède-t-il. Le plan de relance, le Pacte asile et migration, la loi climat de 2021 : l’allié des socialistes n’a pas voté pour. Des choix à rebours de ce qu’attendent, selon Canfin, “les électeurs pro-européens (…), ceux qui veulent des résultats”.
Objectif 20%
La liste de cette année ayant été annoncée tardivement, Canfin n’est vraiment entré en campagne que depuis début mai. Missionné, avec d’autres, pour mobiliser la part de l’électorat macroniste qui se tâte à aller voter — la liste emmenée par Valérie Hayer stagne autour de 16% d’intentions de vote —, il ne cherche pas à nier le risque qu’encourt le camp présidentiel.
“En dessous de 20%, on aura du mal à dire que c’est un succès”, et “on sera moins forts pour défendre nos idées”, lâche-t-il. “Les autres chefs d’Etat vont regarder le vote Macron.”
L’eurodéputé Renew pense qu’il n’est “pas infaisable” de grappiller les 3 ou 4 points nécessaires pour atteindre cette barre symbolique.
A une condition : “Il faut qu’Emmanuel Macron s’implique”, énonce-t-il, se disant certain que le président “en a très envie”. Son argument : “Les enquêtes montrent que c’est le seul qui est capable d’aller chercher son propre électorat.”
Quant aux électeurs de Glucksmann, Pascal Canfin s’est naturellement mis en tête d’aller les chercher, quitte à assumer, le 13 mai dernier sur France Inter, d’être parfois “en désaccord avec certaines parties de l’action du gouvernement”. Sa critique de la loi immigration lui a valu la réprobation d’Aurore Bergé, ministre issue de la droite, lors du dernier comité de campagne.
Ses résultats à lui ? L’écolo réaliste, ex-président de WWF, en parle volontiers. Avec le fameux Pacte vert — le plan européen pour atteindre la neutralité carbone en 2050 —, “on a fait le job”, plaide-t-il fièrement. D’ailleurs, les intentions de la droite et l’extrême droite de le détricoter ne l’inquiètent pas. Trop tard, affirme-t-il : “le coup est parti”. Le sujet est désormais celui du “déploiement” des mesures prises.
Canfin reconnaît toutefois un échec, sur la politique agricole commune (PAC) : la remise en cause de son verdissement, en toute fin de mandature. “Le truc est bloqué (…), il faut qu’on change de méthode.”
Le rêve Draghi
Faire campagne ne l’empêche pas de cogiter sur le coup d’après. Loin de faire mine de ne pas y penser, Canfin est intarissable sur la recomposition future du Parlement.
Laissant volontiers entrevoir ses talents de tacticien, il liste déjà les “sujets de contentieux” sur lesquels la droite, la gauche et les libéraux s’écharperont pour trouver un “contrat de coalition” : l’investissement commun dans le numérique et les technologies vertes (en réponse aux politiques de subventions de la Chine et des Etats-Unis), le Fonds européen de défense de 100 milliards d’euros, le financement du nucléaire par de l’argent européen, la transition agricole et bien sûr le sujet migratoire, avec une droite qui prône désormais l’expulsion massive des migrants vers des pays tiers.
Canfin, qui a l’oreille d’Emmanuel Macron sur les questions européennes, phosphore aussi sur la course aux top jobs — les principaux postes à responsabilité de l’UE —, qui agite autant la bulle bruxelloise qu’elle indiffère en France.
L’eurodéputé a un rêve, partagé, affirme-t-il, dans l’“écosystème présidentiel” : que Mario Draghi “puisse jouer un rôle” au plus haut niveau, en prenant la présidence de la Commission ou du Conseil européen, les deux postes les plus convoités.
A ses yeux, Draghi a l’avantage d’être “très, très aligné” avec les propositions françaises. Avec sa stature d’ex-président de la BCE et ancien chef de gouvernement, l’Italien aurait, d’après Canfin, “la crédibilité pour aller convaincre” les 27 d’investir massivement, y compris via un emprunt commun, dans les priorités futures de l’UE, le cheval de bataille de Draghi depuis plusieurs mois.
Mais, Draghi a deux problèmes, poursuit Canfin. Un : il n’a aucune étiquette partisane. Or, les principaux postes sont distribués en fonction du poids des familles politiques. La présidence de la Commission européenne ? Elle ne devrait pas échapper au PPE. La présidence du Conseil européen ? Les socialistes se battront certainement pour l’obtenir. Deux : étant Italien, il lui faudra le soutien de la Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni. “Le chemin n’est pas évident à trouver”, concède Canfin.
Meloni faiseuse de reines ?
A défaut, il préfère la sortante Ursula von der Leyen à tout autre membre du PPE pour présider la Commission. Avec elle, Paris “a une relation de travail et de confiance établie”, argumente-t-il.
Là aussi, ce sera difficile. Et revoilà Canfin le tacticien. Constat partagé par beaucoup : von der Leyen pourrait ne pas avoir une majorité suffisante pour être réélue. Si c’est le cas, vers qui pourrait-elle se tourner ? Lui aimerait que les Verts européens rejoignent la coalition… mais cela ne devrait pas plaire à la droite. Von der Leyen, elle, n’exclut plus de travailler avec le groupe d’extrême droite CRE, mais, cette fois, ce sont les libéraux et les sociaux-démocrates qui mettraient leur veto…
Comment résoudre l’équation ? Pascal Canfin pense que Giorgia Meloni pourrait être la faiseuse de reines. Son hypothèse : si von der Leyen, qui s’est rapprochée de Meloni, offre un portefeuille important à l’Italie dans la future Commission, la locataire du Palais Chigi pourrait, en échange, lui garantir l’abstention de ses troupes au Parlement au moment du vote pour la présidence de la Commission.
Son poste à lui — la présidence de la commission Environnement — sera aussi en jeu. “Je suis candidat à ma succession”, assume Canfin. Au passage, il glisse que deux commissions “pourraient faire sens” : celle de l’Industrie, de la Recherche et de l’Energie, et celle des Affaires économiques et monétaires.
Quoiqu’il arrive, son bureau principal restera à Bruxelles.