BRUXELLES — Quand Mark Rutte s’installera dans son bureau à l’Otan, il n’aura pas vraiment le temps de profiter d’une lune de miel.
La campagne du Premier ministre néerlandais sortant pour le poste de secrétaire général s’est achevée jeudi, lorsqu’il a obtenu le soutien des 32 alliés de l’organisation (la Roumanie, dernière à résister, ayant annoncé son soutien).
L’actuel titulaire, Jens Stoltenberg, qui doit quitter ses fonctions le 1er octobre, rencontre Emmanuel Macron à Paris lundi.
Mark Rutte, qui dirige depuis quatorze ans la cinquième économie de l’Union européenne, est reconnu pour être un bâtisseur de consensus efficace, tout en faisant preuve de détermination dans son soutien à l’Ukraine, en témoignent les efforts récents des Pays-Bas pour former les pilotes ukrainiens aux avions de chasse F-16.
Mais même pour un politicien chevronné, le prochain chapitre de la carrière politique de Rutte ne sera pas une promenade de santé. Voici les cinq sujets brûlants qu’il aura à traiter.
1. Le retour possible de Donald Trump
Quatre semaines après la prise de fonction de Rutte, les Américains se rendront aux urnes pour la présidentielle et pourraient réélire Donald Trump, un sceptique de l’Otan.
Lors de sa campagne électorale, Donald Trump a menacé de réduire l’aide américaine à l’Ukraine. S’il venait à mettre sa menace à exécution, la crédibilité du soutien des alliés à l’Ukraine pourrait prendre un sacré coup, car les Etats-Unis sont de loin le plus grand pourvoyeur d’aide militaire à Kiev.
La réélection de Trump ferait à coup sûr quasi dérailler le plan de l’Otan pour préparer l’Ukraine à sa future adhésion, y compris les efforts visant à achever l’occidentalisation de l’armée ukrainienne, à l’origine de culture soviétique.
L’année dernière, les pays de l’Otan ont promis qu’ils “seront en mesure d’inviter l’Ukraine à rejoindre l’alliance quand les alliés se seront mis d’accord et que les conditions seront remplies”.
Toutefois, à en juger par la façon dont Trump a récemment qualifié le président ukrainien Volodymyr Zelensky, cet engagement semble fragile.
Zelensky “est peut-être le plus grand VRP de tous les hommes politiques qui aient jamais existé”, a déclaré Trump lors d’un événement de campagne la semaine dernière. “Il est parti il y a quatre jours avec 60 milliards de dollars [après avoir signé un accord de sécurité de dix ans avec le président Joe Biden], et en rentrant chez lui, il annonce qu’il a besoin de 60 milliards de dollars à nouveau. Ça ne s’arrête jamais.”
2. Une attaque de Poutine contre l’Ukraine à l’hiver
Dès l’entrée en fonction de Mark Rutte, l’Ukraine l’appellera à l’aide à l’approche de l’hiver.
Ces derniers mois, la Russie a intensifié ses frappes contre les centrales thermiques et les barrages ukrainiens — des infrastructures dont la réparation complète prend des mois, voire des années.
La stratégie du Kremlin n’est pas nouvelle. Au cours du premier hiver de la guerre, entre 2022 et 2023, le réseau électrique ukrainien a été lourdement attaqué.
Selon Jens Stoltenberg, l’actuel chef de l’Otan, la clé réside dans un plus grand nombre de systèmes de défense aérienne susceptibles de protéger les fournisseurs d’énergie, ainsi que dans le personnel de maintenance chargé de réparer les installations endommagées.
Les pays de l’Otan bataillent aussi pour envoyer — ou, dans le cas du pays de Rutte, pour construire — des systèmes de défense aérienne. L’Europe n’en a pas beaucoup à envoyer, aux Etats-Unis, les progrès ont été retardés par le Congrès, et les pays proches de la frontière russe ne sont pas du tout disposés à renoncer à leurs boucliers aériens en cette période dangereuse.
3. Faire contribuer davantage les membres de l’Otan
L’Otan a célébré cette semaine un nombre record d’alliés ayant atteint l’objectif de 2% du PIB en matière de dépenses de défense : 23. Les Pays-Bas viennent en effet de franchir ce seuil cette année, après avoir été en deçà pendant des années.
Mais cela signifie qu’un tiers de l’alliance n’atteint toujours pas la cible, bien qu’elle ait pris cet engagement il y a dix ans.
Les pays d’Europe du Sud sont parmi les plus mauvais élèves.
En Italie, les estimations pour 2024 prévoient une légère baisse par rapport au niveau déjà bas de 1,5% de l’année dernière. L’Espagne ne dépensera que 1,28% cette année. Son voisin, le Portugal, s’est engagé à 1,55%.
“Le piètre bilan de nos amis méditerranéens est l’arme parfaite pour Trump”, commente un diplomate balte, à qui l’anonymat a été accordé pour qu’il puisse parler librement de l’état d’esprit qui règne au sein de l’Otan. Les pays baltes ont été de fervents défenseurs d’une approche plus dure à l’égard de la Russie.
Les voisins de Trump ne font pas mieux. Le Canada, membre de l’Otan depuis sa création en 1949, n’engage que 1,37% de son PIB, enregistrant une croissance de 0,1% depuis le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine.
4. Les plaintes des pays de l’Est
Les pays limitrophes de la Russie ne sont pas les plus fervents supporters de Rutte.
Ils s’insurgent contre la faiblesse des dépenses de défense néerlandaises et sont particulièrement contrariés par le fait que le rôle principal au sein de l’Otan est toujours revenu à une personnalité d’Europe de l’Ouest ou du Nord, alors que les pays du flanc oriental font partie de l’alliance depuis un quart de siècle.
La Première ministre estonienne Kaja Kallas ne s’est pas lancée dans la course au poste de chef de l’Otan, après avoir appris qu’elle n’obtiendrait pas le soutien de pays tels que les Etats-Unis, la France et l’Allemagne (elle est aujourd’hui la favorite pour devenir la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères). Ils craignaient que la nomination de cette anti-Kremlin affirmée ne soit perçue par Moscou comme une escalade des hostilités. Le président roumain Klaus Iohannis, qui s’est présenté pour le poste, n’a obtenu que le soutien — bref et seulement pour des raisons tactiques — de la Hongrie.
Les pays de l’Est demanderont probablement une meilleure représentation aux autres postes de l’Otan : ceux de secrétaire général délégué (SGD) et les nombreux secrétaires généraux adjoints (SGA).
La répartition des postes est un point sensible pour les pays de l’Est depuis un certain temps. Alors que le SGD sortant est roumain, les sept SGA viennent tous de l’Ouest : deux des Etats-Unis, un d’Allemagne, un des Pays-Bas, un du Royaume-Uni, un d’Italie et un de France. Un autre poste de SGA est vacant.
D’ailleurs, l’une des premières tâches de Rutte en tant que chef de l’Otan consistera à nommer un adjoint, et des pressions s’exerceront pour qu’il désigne un ressortissant d’un pays de l’Est.
5. Les dirigeants européens pro-Poutine
Ce n’est pas seulement Trump que Rutte devra convaincre pour maintenir l’Otan en vie et en bonne santé.
Dans toute l’Europe, les partis d’extrême droite, sceptiques à l’égard de l’Otan et favorables à Poutine, prospèrent.
A l’image de la France, dont les élections législatives pourraient permettre au Rassemblement national de finir en tête, voire de prendre le pouvoir. Face à ce scénario, Jens Stoltenberg s’est vu contraint d’adresser un rare appel à la France pour qu’elle “maintienne l’Otan forte”, lors d’une interview accordée à POLITICO.
Rutte ne connaît que trop bien cette histoire. D’une certaine manière, il a commencé à envisager le poste à la tête de l’Otan lorsqu’il est devenu évident que son Parti populaire pour la liberté et la démocratie, de centre droit, perdrait les élections face au Parti pour la liberté de Geert Wilders, d’extrême droite, ce qui s’est produit.
Interrogé l’année dernière sur son opinion concernant Vladimir Poutine, Wilders a déclaré à l’organe de propagande russe RT : “Je l’applaudis comme j’applaudis Moniseur Trump pour être des leaders, qui représentent le peuple russe et le peuple américain.”
Une chose est sûre : Mark Rutte ne risque pas de s’ennuyer à son nouveau poste.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.