PARIS — Les Ecologistes sont au bord du désastre électoral.
Si les sondages sont exacts, le parti risque son plus mauvais résultat aux européennes depuis trente ans et pourrait se retrouver complètement exclu du Parlement de Strasbourg.
Pour y avoir des sièges, il faut obtenir au minimum 5% des suffrages. Or, la liste menée par Marie Toussaint est actuellement juste au-dessus de ce seuil dans les intentions de vote.
Focalisée sur les questions de société, sa campagne n’est pas parvenue à faire du changement climatique un enjeu central de ce scrutin.
De manière générale, “c’est étonnant à quel point l’écologie n’a pas été un sujet de cette campagne”, commente Sandrine Rousseau, qui perçoit “un backlash écolo assez important”. “C’est des années cruciales, l’Europe est un échelon extrêmement important dans la crise climatique et on n’arrive pas à imposer le sujet”, déplore la députée de Paris.
Dans la dernière ligne droite avant le vote de dimanche, les Ecologistes tentent d’enrayer cette dynamique en mobilisant les jeunes électeurs, considérés comme une potentielle réserve de voix inexploitée.
Ils doivent aussi convaincre les électeurs de gauche, tentés de choisir Raphaël Glucksmann (PS-Place publique) pour espérer le voir dépasser la candidate macroniste Valérie Hayer, qu’il est plus stratégique pour leur camp de voter Vert.
En effet, si les Ecolos font 5% “ils envoient cinq députés” au Parlement européen, alors que si Gluckmann fait 2% de plus, il ne récupérerait “qu’un député de plus”, calcule Phuc-Vinh Nguyen, chercheur à l’Institut Jacques Delors. “Stratégiquement, [Les Ecologistes] doivent réussir à faire comprendre ça, c’est vraiment très compliqué”, estime-t-il.
En tout cas, les troupes restent mobilisées. “La campagne se poursuit jusqu’à la dernière minute, vendredi 23h59”, rappelle à POLITICO l’eurodéputé Mounir Satouri, en quatrième position sur la liste de Marie Toussaint.
Défaite des Ecolos, victoire pour Ursula von der Leyen ?
Une absence des Ecologistes au Parlement européen pourrait en revanche faire les affaires d’Ursula von der Leyen. La présidente de la Commissaire vise un second mandat à la tête de l’exécutif européen — et le résultat se jouera probablement lors d’un vote à couteaux tirés à Strasbourg.
Les Verts européens ont ouvert la porte à une alliance potentielle avec von der Leyen, à condition qu’elle ne s’allie pas au groupe de droite des Conservateurs et réformistes européens (CRE). Mais les Ecologistes français, eux, la trouvent déjà trop conservatrice à leur goût.
“Je n’ai aucune raison de voter pour Ursula von der Leyen”, tranche Mounir Satouri. “Je ne l’ai pas soutenue en 2019, il n’y a aucune raison pour que je la soutienne en 2024.”
Selon le Poll of Polls, le sondage des sondages de POLITICO, le groupe des Verts devrait perdre plus d’un tiers de ses sièges, passant de 75 à 41 députés européens. Cela limiterait leur capacité à faire avancer l’agenda climatique et les réduirait à l’influence qu’ils exerçaient il y a vingt ans.
Les vents contraires liés aux protestations des agriculteurs et au glissement général de l’Europe vers la droite, Bruxelles adoptant désormais des politiques plus favorables à l’industrie, obligent les Verts à pivoter pour soutenir plus fermement les secteurs verts.
Sans ses élus français, le groupe des Verts au Parlement serait probablement dominé par les Grünen allemands, qui sont plus à l’aise pour adopter cette nouvelle réalité politique. Cela pourrait jouer en faveur de von der Leyen.
L’eurodéputée allemande Terry Reintke, l’une des deux têtes de liste des Verts européens aux élections de dimanche, a répété au cours de la campagne que le groupe devait adopter un discours plus favorable à l’industrie pour gagner des voix, et a préconisé de “briser la soi-disant contradiction entre le climat et l’économie”.
Reintke a également tenté de positionner son groupe en faiseur de rois dans la course à la présidence de la Commission, arguant que ses eurodéputés sont essentiels pour assurer la poursuite du Pacte vert. L’avenir d’Ursula von der Leyen sera probablement décidé par un vote serré, et les Grünen devraient obtenir environ 15 eurodéputés (contre 25 aujourd’hui), selon les projections de POLITICO.
“Nous sommes prêts à faire partie d’une majorité soutenant le prochain président de la Commission s’il y a un engagement clair à maintenir le Pacte vert et à exclure toute coopération avec l’extrême droite”, a déclaré l’eurodéputée allemande des Verts Anna Cavazzini à POLITICO, faisant référence à la récente déclaration de von der Leyen indiquant qu’elle serait prête à travailler avec les élus du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, qui siègent actuellement dans le groupe CRE.
Marie Toussaint n’a pas encore pris position sur le soutien à Ursula von der Leyen, a indiqué son équipe de campagne à POLITICO.
Pragmatisme ou idéalisme
Le dilemme entre pragmatisme et idéalisme est récurrent chez les Verts, et la dynamique franco-allemande au sein du groupe résume cette lutte.
Alors que leur groupe au Parlement se dirige vers des pertes importantes, rejoindre une large coalition soutenant Ursula von der Leyen donnerait aux Verts l’opportunité de sauver les ambitions climatiques de l’UE de l’intérieur.
Mais les deux plus grandes délégations ont des cultures politiques différentes. Les Grünen font partie de la coalition au pouvoir en Allemagne depuis 2021 et s’orientent vers des positions plus pragmatiques, tandis que les Ecologistes en France restent un parti d’opposition.
Ce fossé a déjà entraîné des frictions sur les accords commerciaux internationaux, l’extension du marché européen du carbone au chauffage et aux carburants des voitures, ainsi que le conflit actuel à Gaza.
“Dans le contexte de ce nouveau récit, qui se concentre davantage sur le développement industriel, la décarbonisation, la compétitivité, la souveraineté… les Verts allemands seront bien plus à l’aise que les Français, c’est certain”, étant donné leur expérience du pouvoir, estime Antoine Oger, directeur de recherche à l’Institute for European Environmental Policy, un think tank basé à Bruxelles.
Toutefois, Mélanie Vogel, sénatrice et coprésidente du Parti vert européen, a averti que même si les Ecologistes français ne remportent aucun siège au Parlement européen, leur soutien à von der Leyen est loin d’être acquis. “Qu’il y ait des Français ou pas, il y aura des discussions, il y aura des débats, et il y aura une position de groupe qui sera choisie démocratiquement”, a-t-elle précisé.
Des délégations plus petites, dont celle de Bas Eickhout, poids lourd des Verts néerlandais, qui devrait codiriger le groupe au Parlement européen avec Reintke lors de la prochaine législature, devraient également jouer un rôle central dans cette décision.
Nicolas Camut a travaillé sur cet article depuis la rédaction parisienne de POLITICO. Louise Guillot et Eddy Wax y ont contribué depuis Bruxelles.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.