Union européenne : l’attribution des postes clés se précise

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BRUXELLES — Si vous vous attendiez à des mois de luttes, des scénarios politiques palpitants et que les éminences grises bruxelloises bataillent pour les postes les plus importants de l’Union européenne au lendemain des élections, vous risquez d’être déçus.

Un consensus inhabituellement précoce semble se dégager autour des favoris pour les plus hauts postes, ou top jobs, de l’UE : l’Allemande Ursula von der Leyen pour un second mandat à la présidence de la Commission européenne, le Portugais António Costa à celle du Conseil européen, la Maltaise Roberta Metsola à la tête du Parlement et l’Estonienne Kaja Kallas comme cheffe de la politique étrangère.

Même si rien n’est gravé dans le marbre, les contours d’un accord sont attendus pour le 17 juin, date d’un dîner informel du Conseil européen — qui comprend les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE —, ont déclaré huit sources haut placées et diplomates européens à POLITICO. L’anonymat leur a été accordé afin qu’elles puissent parler franchement des discussions en cours.

“On touche du bois, mais cette fois-ci, les choses pourraient aller relativement vite”, anticipe une source haut placée, tout en précisant qu’un accord formel ne serait probablement pas conclu avant que les dirigeants des Etats membres ne se réunissent à nouveau les 27 et 28 juin.

L’optimisme quant au calendrier s’explique en partie par le fait qu’Emmanuel Macron, dont l’interventionisme en la matière est redouté, a d’autres chats à fouetter.

Depuis que son parti Renaissance, membre du groupe centriste Renew à Strasbourg qui est l’un des principaux acteurs des négociations sur les postes clés, a essuyé une défaite cuisante face à l’extrême droite lors des élections européennes, son pouvoir de négociation à Bruxelles s’est affaibli. Son attention se porte désormais sur les législatives anticipées qu’il a déclenchées, plutôt que sur les postes de l’UE.

Avec la guerre de la Russie en Ukraine et le retour potentiel de Donald Trump à la Maison Blanche après les élections américaines de novembre, l’Europe ne peut pas se permettre des marchandages internes au péril de la stabilité, estiment les sources interrogées.

L’alignement diplomatique rapide autour du “big 4” contraste fortement avec les pronostics qui avaient cours avant les élections européennes. A ce moment, Bruxelles était en effervence à cause des rumeurs selon lesquelles Emmanuel Macron envisageait d’autres candidats qu’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission.

La rapidité du consensus a même fait craindre un potentiel coup tordu à certains diplomates. “Plus j’entends parler d’optimisme, plus je suis nerveux”, confie un diplomate européen.

Ursula von der Leyen est la candidate du Parti populaire européen à la présidence de la Commission. | Maja Hitij/Getty Images
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Le Parti populaire européen (PPE), qui reste la plus grande force politique au Parlement européen après les élections de dimanche dernier, souhaite garantir un second mandat de cinq ans à Ursula von der Leyen. Alors qu’Emmanuel Macron se concentre sur ses problèmes politiques internes, ses homologues européens sont presque certains de faire passer l’Allemande.

“Les dirigeants ne peuvent pas la contourner, même ceux qui le voudraient”, analyse une autre source européenne haut placée. “Elle est leur principale candidate, ils sont le plus grand parti. Elle sera la première à agir.”

Costa au Conseil ?

Les Socialistes et Démocrates (S&D), deuxième groupe du Parlement européen et élément clé de l’actuelle coalition centriste avec Renew et le PPE, convoitent la direction du Conseil européen.

António Costa est le grand favori dans la course à la succession de l’actuel président de l’instance, le Belge Charles Michel, à tel point que les diplomates spéculent déjà sur le nom de celui qui deviendrait son chef de cabinet.

En début de semaine, l’actuel Premier ministre portugais de centre droit, Luís Montenegro, a déclaré que Lisbonne soutiendrait António Costa pour le poste. “Luís Montenegro ne le ferait que s’il savait qu’António Costa avait des chances sérieuses”, affirme la deuxième source européenne haut placée.

Mais l’affaire n’est pas encore réglée : la candidature d’António Costa pourrait encore être compliquée par ses problèmes judiciaires.

En novembre dernier, le socialiste a démissionné de son poste de Premier ministre après que des procureurs l’ont considéré comme un suspect officiel dans une vaste enquête de trafic d’influence. A l’époque, les magistrats portugais n’avaient pas révélé quel crime il était soupçonné d’avoir commis.

Huit mois plus tard, l’affaire reste sous scellés et le mystère persiste.

Aucune charge n’a été retenue contre lui, mais les procureurs n’ont pas abandonné leur enquête.

A sa demande, António Costa a répondu le mois dernier aux questions posées par un magistrat et a de nouveau clamé son innocence.

Un grand nombre d’Etats membres ne considèrent plus les poursuites judiciaires à l’encontre du Portugais comme un obstacle à sa nomination à Bruxelles. Il entretient de bonnes relations de travail avec Ursula von der Leyen et est généralement apprécié des dirigeants européens.

Et, selon une source française, Emmanuel Macron apprécie António Costa, qui parle français et avec qui il aime avoir des discussions intellectuelles.

Mais le système judiciaire portugais avance à pas de tortue et, tandis que l’enquête sur António Costa est toujours en cours, l’affaire pourrait être évoquée par les pays nordiques qui cherchent à promouvoir la candidature de la Première ministre socialiste danoise, Mette Frederiksen, dont le nom circule depuis des mois dans les conversations de la bulle bruxelloise.

Cheffes des Affaires étrangères et du Parlement

Le poste le plus incertain, à ce stade, est celui de haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères, selon quatre sources haut placées. La Première ministre estonienne, Kaja Kallas, convoite ce poste et, en tant que femme libérale d’Europe de l’Est et dirigeante nationale, elle constituerait un choix presque idéal pour les libéraux de Renew qui cherchent un successeur à Josep Borrell.

En tant que femme libérale d’Europe de l’Est et leader national, l’Estonienne Kaja Kallas serait un choix presque idéal pour les libéraux qui cherchent un successeur à Josep Borrell. | Sean Gallup/Getty Images

A l’approche des élections européennes, les pays de l’Europe de l’Ouest s’interrogeaient sur son positionnement très anti-Kremlin. Certains dirigeants occidentaux craignaient que Kaja Kallas ne se concentre exclusivement sur la Russie et n’accorde pas suffisamment d’attention à d’autres régions, en particulier le Moyen-Orient et l’Afrique. Mais cette opposition s’est estompée depuis, car l’Estonienne s’intégrerait parfaitement dans le casting des postes clés, tant sur le plan géographique que politique et diplomatique.

La plus facile des quatre nominations consistera à donner un nouveau mandat de deux ans et demi à l’actuelle présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, qui fait partie du PPE. Mais cette décision revient aux eurodéputés, et non aux dirigeants de l’UE.

Marchandages avec von der Leyen

Dans les jours à venir, lors du dîner informel et du sommet, les dirigeants européens marchanderont avec Ursula von der Leyen afin d’obtenir, en échange de leur soutien, des concessions et des portefeuilles clés dans la prochaine Commission.

“Il s’agit de chefs d’Etat et de gouvernement. Ils ne viennent pas à Bruxelles uniquement pour approuver un accord”, explicite un troisième diplomate de l’UE.

Même si le Conseil européen parvient à un accord rapide sur le casting des postes clés, il reste l’obstacle du Parlement européen, dont le vote sur un potentiel second mandat de cinq ans pour Ursula von der Leyen pourrait se tenir dès le 18 juillet.

“Il y a toujours une surprise dans les discussions sur les top jobs”, rappelle un quatrième diplomate européen.

La présidente allemande de la Commission a besoin de 361 voix dans l’hémicycle pour approuver un second mandat. Bien que sa coalition actuelle (PPE, Renew et S&D) ait remporté 400 sièges, les responsables des partis préviennent qu’au moins 10% des eurodéputés pourraient ne pas voter pour la présidente sortante, ce qui pourrait la priver d’une majorité.

“Ne vous inquiétez pas, nous n’en sommes pas encore là. POLITICO aura beaucoup de choses à écrire”, assure un autre diplomate européen.

Stuart Lau, Jakob Hanke Vela et Nicholas Vinocur ont contribué à cet article.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.