WASHINGTON — Qui me trompe deux fois, honte à moi : telle est la devise des pays de l’Union européenne, qui se préparent à une guerre commerciale de grande ampleur avec Donald Trump, si ce dernier remporte la présidentielle américaine le mois prochain.
Les dirigeants européens ont retenu la leçon lors du premier mandat de Trump et sont plus unis et déterminés que jamais à l’affronter, à en croire des diplomates de haut rang et des sources au sein des institutions européennes et des capitales de l’UE avec qui POLITICO a échangé.
“Nous riposterons vite et nous riposterons fort”, assure un diplomate européen à propos du plan de l’UE en cas de guerre commerciale de Trump.
Un second diplomate d’un autre pays confirme que les Etats membres, menés par la Commission européenne, sont en train de coordonner leur stratégie. “Bruxelles a une liste prête, et est assez confiant dans sa capacité à remporter cette guerre commerciale”, relate le second diplomate.
L’UE a mis en place une force de réaction rapide pour se préparer aux conséquences des élections américaines du 5 novembre. Installé au cœur de l’exécutif européen d’Ursula von der Leyen, au sein du secrétariat général, le groupe se prépare officiellement aux deux cas de figure : une victoire des démocrates ou des républicains. Mais les agents de l’UE l’appellent familièrement la “task force Trump”.
Bruxelles a été pris au dépourvu en 2018, lorsque Trump a imposé pour la première fois des droits de douane sur l’acier et l’aluminium de l’UE, et n’a riposté que sur une partie de ces taxes, dans l’espoir d’une désescalade.
Plutôt que de faire la paix, Trump en a rajouté une couche plus tard dans l’année en menaçant d’imposer des droits de douane sur les exportations de voitures de l’UE. Bien que ces mesures ne soient finalement jamais entrées en vigueur, l’Union a été choquée de voir que le président républicain était prêt à bouleverser les chaînes d’approvisionnement et à rompre les liens avec les principaux alliés de Washington.
“La dernière fois, nous ne pensions pas que Trump irait aussi loin”, retrace le premier diplomate. “Cette fois, nous avons eu le temps de nous préparer. L’Europe a beaucoup changé, et nous serons prêts à agir.”
Les dirigeants de l’UE pensent que plus les représailles seront dures, plus vite Trump sera amené à la table des négociations, rapportent à POLITICO des diplomates et des sources au sein des institutions. L’anonymat leur a été accordé pour discuter des décisions sensibles.
L’objectif serait de frapper si fort que Trump serait contraint de négocier immédiatement, l’Europe se trouvant dans une meilleure position. La pire alternative, selon eux, serait une spirale de représailles qui s’étendrait sur plusieurs années.
“La Commission a préparé des mesures de rétorsion substantielles afin de pousser Trump à conclure un accord dès le premier tour”, expose le premier diplomate.
Pour l’instant, la bataille de l’acier est en état d’hibernation, après que l’UE a prolongé de quinze mois la pause sur ses droits de douane en décembre dernier. Cette pause prendra fin en mars prochain, ce qui signifie que, que ce soit Trump ou Kamala Harris qui se retrouve à la Maison-Blanche, il y aura un bilan dans les semaines qui suivront l’entrée en fonction du prochain président américain.
Pas de secret
Le candidat républicain n’a pas caché son intention d’imposer des droits de douane généralisés de 10% ou 20% à ses amis comme à ses ennemis s’il remporte l’élection. Dans ses discours de meeting, il annonce réserver un sort particulier à l’Europe et surtout à l’industrie automobile allemande.
Il a promis non seulement de réduire le déficit commercial américain en taxant massivement les produits européens, mais aussi de détruire l’industrie du Vieux Continent au passage et de forcer les entreprises à localiser leurs usines aux Etats-Unis.
Il y a quelques jours, Trump s’est également plaint des enquêtes de l’UE sur la concurrence visant les géants américains de la tech. Il a affirmé s’être entretenu avec le PDG d’Apple, Tim Cook, au sujet d’une décision de justice européenne qui a contraint l’entreprise à payer 13 milliards d’euros de redressement fiscal à l’Etat irlandais. Trump a promis de s’attaquer à ces décisions s’il est élu.
Les dirigeants politiques, les hauts fonctionnaires et les chefs d’entreprise européens sont particulièrement inquiets de ce qu’ils décrivent comme l’obsession de Trump et de ses acolytes pour l’industrie automobile allemande.
S’il met cette menace à exécution, comme beaucoup le pensent, les conséquences pourraient être désastreuses non seulement pour l’Allemagne, mais aussi pour la plupart des grandes économies de l’UE.
Des constructeurs tels que Volkswagen, BMW et Daimler exploitent des usines en Grande-Bretagne, en Espagne, en Pologne, en Belgique, en République tchèque, en Hongrie, en Roumanie et dans d’autres pays. Ils s’approvisionnent en pièces détachées auprès de fournisseurs à travers toute l’UE.
Les Etats-Unis sont le premier importateur de voitures allemandes, devant la Chine, en termes de valeur, de sorte que tout droit de douane frapperait l’un des principaux piliers de l’économie européenne.
“Nous sommes inquiets de la fixette de Trump sur les voitures, car l’industrie automobile allemande est si profondément imbriquée dans chaque pays de l’UE”, confie un troisième diplomate.
Une solution négociée
Pour l’UE, l’issue serait une solution négociée. Ils estiment que Trump peut avoir la gâchette facile en matière de droits de douane, mais qu’il est également prêt à participer à des tractations. “C’est un négociateur dans l’âme”, avance le troisième diplomate, citant la renégociation par Trump de la zone de libre-échange avec le Mexique et le Canada, ainsi que des accords avec la Corée du Sud, le Japon et la Chine.
Selon les sources interrogées, l’un des volets de ces pourparlers porterait sur une coopération plus étroite entre l’UE et les Etats-Unis face à la Chine.
“Les Américains devraient se montrer plus amicaux à l’égard d’Ursula [von der Leyen] s’ils veulent vraiment s’attaquer ensemble à la Chine”, prévient le premier diplomate.
Des deux côtés de l’Atlantique, les entreprises se préparent à un processus de négociations qui pourrait être destructeur, estiment-elles.
“Bruxelles élabore des plans au cas où de nouveaux droits de douane seraient appliqués. Ce n’est pas surprenant”, juge Marjorie Chorlins, de la Chambre de commerce des Etats-Unis.
“La question qui se pose est la suivante : si cela devait se produire, est-il possible de trouver une solution négociée qui soit acceptable pour les deux parties ? Il n’y a aucun moyen de le savoir à ce stade, mais il est clair que ni l’un ni l’autre n’a intérêt à s’engager dans cette voie.”
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.