La mission de Biden pour rassurer les Allemands, angoissés par un retour de Trump

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BERLIN — Joe Biden est entré en fonction il y a près de quatre ans avec pour mission de réparer les relations entre l’Amérique et l’Europe. Puis, Vladimir Poutine s’en est chargé à sa place.

Le président américain doit arriver en Allemagne jeudi soir pour une brève visite destinée à célébrer le nouvel esprit de solidarité transatlantique, et discuter de ce que l’Occident peut faire pour entraver la progression de la Russie en Ukraine.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, rien n’a autant contribué à resserrer les liens transatlantiques que l’assaut du dirigeant russe contre l’Ukraine. Pourtant, derrière l’étalage de la bonne entente entre les deux côtés de l’océan, la vraie question est de savoir si leurs efforts auront de l’importance dans quelques semaines.

Si les relations entre l’Amérique et l’Europe sont plus fortes que jamais, elles sont aussi fondamentalement menacées. Malgré tous les discours inévitables sur l’importance de l’alliance entre leurs deux nations, Joe Biden et le chancelier allemand Olaf Scholz ont laissé le monde avec un conflit gelé en Ukraine. Et dans moins de trois semaines, la situation pourrait encore empirer pour les Ukrainiens.

Une victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, qui a mis en doute la poursuite du soutien américain à Kiev et a même refusé de dire s’il souhaitait que l’Ukraine gagne la guerre, plongerait les relations américano-européennes dans une crise du jour au lendemain.

En d’autres termes, l’Europe manque à la fois de leadership et de moyens pour combler le vide que créerait le retrait du soutien des Etats-Unis à l’Ukraine. De plus, étant donné que l’ancien président envisage de quitter l’Otan, une victoire de Trump inciterait des pays comme l’Allemagne à se concentrer davantage sur le renforcement de leur propre sécurité plutôt que de continuer à aider l’Ukraine.

C’est pourquoi la visite de Biden à Berlin s’annonce plus comme une séance de psychothérapie qu’une cérémonie d’adieux. Scholz sort déjà les mouchoirs.

“Le président américain s’est aussi battu pour une amélioration incroyable de la coopération au cours des dernières années”, a déclaré Scholz au parlement mercredi. “J’attends sa visite avec impatience et je suis reconnaissant pour cette bonne coopération.”

La mémoire collective des Allemands concernant la présidence 2016-2020 de Trump — et son obsession surprenante pour leur pays — est plus palpable que jamais. L’ancien locataire de la Maison-Blanche s’est régulièrement heurté à l’ex-chancelière allemande Angela Merkel sur des questions de sécurité et de commerce. Lors d’un échange particulièrement mémorable au cours d’une réunion du G7 en 2018, Trump a jeté deux bonbons en direction de Merkel et a dit : “Tiens, Angela, ne dis pas que je ne t’ai jamais rien donné.”

A la fin de sa présidence, Trump est devenu tellement exaspéré par Berlin, en raison de son retard en matière de dépenses de défense, qu’il a ordonné au Pentagone de retirer environ 12 000 soldats américains stationnés en Allemagne, soit environ un tiers de l’effectif total. Biden est ensuite revenu sur cette décision.

Il n’est guère étonnant que plus de 80% des Allemands estiment qu’une réélection de Trump aurait un impact négatif sur les relations transatlantiques, selon un récent sondage de Körber Stiftung, une fondation allemande.

Contrairement à Trump, Biden s’est plié en quatre — bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie — pour apaiser les craintes des Allemands sur l’engagement de Washington sur leur sécurité.

Quelques semaines seulement après son entrée en fonction en 2021, Joe Biden a participé à la Conférence de Munich sur la sécurité, même si c’était en visioconférence depuis la Maison-Blanche.

Joe Biden et le chancelier allemand Olaf Scholz ont laissé le monde avec un conflit gelé en Ukraine. | Alex Wong/Getty Images
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“L’alliance transatlantique est une base solide — la base solide — sur laquelle reposent notre sécurité collective et notre prospérité partagée”, a-t-il affirmé dans son discours. “Le partenariat entre l’Europe et les Etats-Unis, à mon avis, est et doit rester la pierre angulaire de tout ce que nous espérons accomplir au XXIe siècle, comme nous l’avons fait au XXe siècle.”

Dans les mois qui ont suivi, Biden a nommé une série de personnes favorables à l’Allemagne à des postes clés au sein du Conseil de sécurité nationale (instance qui conseille le président sur la politique étrangère) et du département d’Etat (l’équivalent du ministère des Affaires étrangères). Ce groupe comprenait Julie Smith, l’actuelle ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’Otan, qui a vécu à Berlin pendant un an et qui a de bonnes relations avec le pouvoir allemand.

Début 2022, Joe Biden a désigné Amy Gutmann ambassadrice en Allemagne. Cherchant à contraster nettement avec son prédécesseur, Ric Grenell, le fervent envoyé de Donald Trump, Gutmann n’a jamais manqué une occasion de faire l’éloge de ses hôtes.

La diplomate, dont le père juif a été contraint de fuir les nazis, a régulièrement chanté les louanges des Allemands pour leur reconnaissance publique de leur histoire pendant la Seconde Guerre mondiale. Un héritage qu’elle a un jour comparé à celui des Etats-Unis.

“Nous avons aussi une histoire, une histoire honteuse d’esclavage dans notre pays”, a-t-elle déclaré aux journalistes après son arrivée à Berlin. “Il est important que nous montrions par nos actes, et pas seulement par nos paroles, à quel point nous défendons avec force les droits de l’homme et sommes aux côtés de nos frères et sœurs ukrainiens.”

Pour l’Allemagne, qui a passé quatre ans à se tracasser sur quel coup Trump pourrait lui réserver, la rhétorique de Biden et de ses collaborateurs a été un soulagement bienvenu.

L’Ukraine au pied du mur

Dans ce contexte, Biden et Scholz, qui a pris ses fonctions quelques semaines seulement avant l’invasion russe de février 2022, ont eu une relation étroite dès le départ.

Pour le chancelier, un social-démocrate dont le parti avait caressé l’idée d’ordonner le retrait des armes nucléaires américaines du sol allemand, l’invasion russe a été un électrochoc. Scholz a immédiatement changé de pied, créant un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour entamer le travail ardu de reconstruction de l’armée allemande, que les dirigeants du pays avaient laissé s’atrophier au cours des décennies qui ont suivi la chute du mur de Berlin.

Trois ans plus tard, cependant, il est clair que — à l’instar des efforts déployés par l’Allemagne pour aider l’Ukraine — les impressionnants chiffres mis en avant masquent un processus laborieux qui, en fin de compte, n’a pas fonctionné.

L’Allemagne n’a toujours pas assuré le financement à long terme de son budget de défense, et il faudra des décennies pour que ses stocks militaires atteignent les niveaux de 2004 au rythme actuel des achats, selon une analyse récente de Bruegel, un think tank bruxellois.

Dans le même temps, la lenteur initiale de l’Allemagne à aider l’Ukraine en lui fournissant des chars et d’autres armes essentielles a donné à la Russie le temps dont elle avait besoin pour se ressaisir après ses premiers revers.

L’ancien secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a reconnu dans une interview cette semaine que l’incapacité de nombreux alliés occidentaux à fournir à l’Ukraine l’aide militaire dont elle avait besoin avant l’invasion avait ouvert la porte à Poutine.

Donald Trump a mis en doute le maintien du soutien américain à Kiev. | Justin Sullivan/Getty Images

“Aujourd’hui, je pense que le manque de soutien militaire a facilité l’invasion russe”, a-t-il déclaré à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. “Certains alliés ont livré des armes, mais rétrospectivement, ce n’était pas suffisant.”

Bien qu’il n’ait pas cité nommément l’Allemagne, elle était la plus grande retardataire, n’ayant livré que 44 millions d’euros d’équipements entre 2014 et 2022, alors que la France en avait envoyé pour 1,6 milliard.

Scholz, suivant l’exemple des Etats-Unis, a finalement fait de l’Allemagne le plus grand fournisseur d’armes à l’Ukraine de toute l’Europe — et le deuxième au total après les Etats-Unis —, cela n’a pas suffi aux soldats de Kiev pour maintenir la Russie sur la défensive. Berlin s’est engagé à verser environ 11 milliards d’euros d’aide militaire à l’Ukraine jusqu’à présent, contre 57 milliards d’euros pour les Etats-Unis.

Si aucun pays occidental n’a fait plus pour aider l’Ukraine en termes absolus, il n’y a pas de médailles pour le premier si elle perd la bataille.

En effet, au cours des derniers mois, la Russie a progressé régulièrement le long des lignes de front, laissant l’Ukraine dos au mur.

“La stratégie de Scholz et Biden consistant à faire lentement bouillir la grenouille en Ukraine n’a pas vraiment fonctionné”, constate Jana Puglierin, senior policy fellow au think tank European Council on Foreign Relations. “Nous sommes maintenant deux ans et demi après le début de la guerre et nous n’avons pas réussi à faire changer d’avis Poutine ou permis des concessions. Ils ont gardé l’Ukraine dans le jeu, mais ils ne seront peut-être plus là pour l’épreuve de force finale.”

La visite de Biden à Berlin — qui était initialement prévue au début du mois, mais a été reportée en raison d’un ouragan aux Etats-Unis — permettra aux deux dirigeants de réfléchir à ce qu’ils auraient dû faire différemment.

Normalement, les visites présidentielles américaines en Allemagne sont des événements très attendus. Pourtant, le voyage d’adieu de Joe Biden a surtout suscité des bâillements.

Cela s’explique en grande partie par le fait que les deux hommes sont des canards boiteux. La coalition tripartite de Scholz est en difficulté depuis des mois, et il est peu probable qu’il fasse un nouveau mandat de chancelier ; il pourrait même finir par “faire une Biden” avant les élections allemandes de 2025.

En attendant, la visite du président américain, au lieu de consolider son héritage en Europe, ne sera probablement guère plus qu’un rappel de ce qui aurait pu être. En fin de compte, on se souviendra de lui et de Scholz pour avoir fait beaucoup, mais c’était loin d’être suffisant.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.