En Roumanie, le candidat ultranationaliste promeut un écologisme radical

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Il y a plusieurs raisons pour lesquelles Călin Georgescu est une anomalie politique.

L’ultranationaliste de 62 ans a remporté le premier tour de l’élection présidentielle roumaine le week-end dernier en attirant les jeunes électeurs sur TikTok. Bien qu’il puisse potentiellement devenir le dirigeant d’un pays membre de l’Otan, il a fait l’éloge de Vladimir Poutine comme étant “un homme qui aime son pays”. Et, en pleine situation économique désastreuse, il a fait appel à des électeurs aux valeurs religieuses et traditionnelles.

Tout cela n’est rien, comparé à son point de vue sur la nature et l’agriculture. Spécialiste des sols, Georgescu a travaillé pendant des années pour le ministère de l’Environnement et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), luttant contre les déversements de déchets et la pollution de l’eau. Pourtant, lors de sa campagne, il s’est insurgé contre le Pacte vert de l’Union européenne, a fait pression pour stimuler la production alimentaire et a déclaré que les travailleurs agricoles mèneraient la réindustrialisation de la Roumanie.

Dans un pays où les agriculteurs représentent 23% de la main-d’œuvre et 18% de la population, soit le taux le plus élevé de tous les Etats membres de l’UE, les politiques agricoles et alimentaires de Georgescu sont cruciales. Dans son programme de 17 pages, intitulé “Nourriture, eau, énergie : Un retour aux sources de la nation roumaine”, il propose une série de mesures utopiques et rassurantes pour les zones rurales.

“Il a les mêmes idées que Robert F. Kennedy Jr.”, compare Cristian Pîrvulescu, professeur d’études politiques à la principale université de Bucarest, en référence à l’ancien candidat à la présidence des Etats-Unis qui a rejoint la campagne victorieuse de Donald Trump et a été récompensé par une nomination au poste de ministre de la Santé.

Comme RFK Jr., Georgescu embrasse un “écologisme radical” qui défie le clivage gauche-droite habituel, puisant dans les leitmotivs antimondialistes partagés par les extrémistes des deux camps. Il s’en prend à l’agriculture intensive, à ses produits agrochimiques “toxiques” et à sa production “polluante et inefficace”, s’engageant au contraire à “soutenir l’agriculture paysanne et l’agriculture traditionnelle et biologique”.

“Les insecticides et pesticides synthétiques seront remplacés par des alternatives écologiques, et les produits chimiques à longue durée de vie seront remplacés par des substances actives issues de la nature”, selon son programme. Cela permettra de préserver “les forêts et les rivières propres, de sauver les abeilles [et d’assurer] une alimentation propre et de qualité”, promet-il.

L’universitaire ajoute qu’“il est crucial de protéger le sol”, car “le sol est la première ressource stratégique de la Roumanie”. Tout cela coûte de l’argent et l’Etat devrait défendre ses agriculteurs, par “la capitalisation des petits producteurs, le soutien aux marchés locaux, [et] un réseau de banques populaires et coopératives” pour financer une révolution agroécologique.


Make agriculture great again

La politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, son pot commun de subventions agricoles, devrait être réorientée vers les petits exploitants (qui représentent plus de 90% des agriculteurs roumains) et le système de production extensive à petite échelle du pays “devrait devenir un modèle à suivre dans les Balkans et en Europe”, exige Georgescu.

Cela peut sembler anachronique, mais c’est de la bonne politique. Comme partout ailleurs en Europe, le passage à l’agriculture industrielle suscite un mécontentement généralisé en Roumanie, alors même que le pays tire profit de son rôle de principal fournisseur de céréales pour les négociants transnationaux et de hub pour le transit et la transformation des céréales ukrainiennes importées.

Les agriculteurs ont manifesté à la frontière avec l’Ukraine en janvier et, malgré les restrictions imposées par l’UE aux importations de produits agricoles ukrainiens, Bucarest s’est plaint à plusieurs reprises à Bruxelles que du miel et de l’huile de tournesol bon marché sont déversés sur son marché, au détriment des producteurs locaux.

“Il est clair que la frustration montait”, selon Radu Magdin, analyste politique et ancien conseiller du gouvernement roumain.

Ajoutez à cela les sécheresses dévastatrices de cette année (qui ont anéanti 2 milliards d’euros de récoltes), l’accaparement spéculatif des terres par des magnats de l’immobilier et de l’industrie, et le coût toujours élevé des engrais et des aliments pour animaux, et vous obtenez une “tempête parfaite”, note Radu Magdin.

Face à la situation difficile de ses agriculteurs, la Roumanie a également été, ces dernières années, l’un des principaux promoteurs de mesures visant à garantir que les grands supermarchés étrangers s’approvisionnent localement en produits frais, ce qui a suscité des tensions avec Bruxelles au sujet des règles du marché unique et avec les distributeurs.


Le sang et le sol

Georgescu fera l’objet d’une opposition féroce lors des prochains scrutins, qu’il s’agisse des élections législatives de dimanche ou du second tour de la présidentielle du 8 décembre. Toutefois, Radu Magdin et Cristian Pîrvulescu estiment qu’il a de bonnes chances d’accéder au pouvoir, grâce à la vague de mécontentement qui travers le pays.

“Lorsque vous dites à un pays dont l’agriculture est forte que ses prix sont parfois plus élevés que sur d’autres marchés, les gens ne comprennent pas”, pointe Radu Magdin. “Certains diront : ‘Mais pourquoi agissons-nous ainsi ? Parce qu’on nous vole. Quelqu’un nous roule dans la farine.’”

En cela, Georgescu fait partie d’une vague de personnalités d’extrême droite qui tentent d’influencer les agriculteurs avec des récits de l’époque fasciste. Son appel à l’autarcie agricole en fait partie, mais pas exclusivement. L’autosuffisance alimentaire était un objectif des mouvements d’extrême droite et de gauche au XXe siècle, mais elle est redevenue mainstream en France, en Pologne et aux Pays-Bas.

Plus important encore est l’accent qu’il met sur la pureté de la nature, cette “perspective philosophique très bucolique”, qualifie Magdin. L’idéalisation de la vie rurale et agricole était un élément clé de l’ultranationalisme des années 1930, résumé par le slogan “le sang et le sol” de l’Allemagne nazie. Ce sont ces croyances qui ont inspiré la naissance de l’agriculture biologique et de ce que l’on appelle “l’alimentation naturelle”.

Georgescu, qui a qualifié les fascistes roumains de l’époque de la Seconde Guerre mondiale de “héros nationaux”, pourrait avoir du mal à rallier des modérés à sa cause. Pourtant, l’écologisme radical qu’il prône est en train de s’enraciner dans la politique européenne.


Graphiques de Giovanna Coi.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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