Que contient le plan de von der Leyen pour sauver l’économie européenne ?

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La boussole pour la compétitivité de la Commission européenne trace une voie — ou une “stratégie de croissance”, selon l’expression de sa présidente Ursula von der Leyen — à suivre pour les décideurs politiques pour les cinq prochaines années.

Il s’agit d’un document dense de 27 pages qui regorge de recommandations visant à relancer l’économie de l’Union européenne.

POLITICO vous a résumé et expliqué les principaux points.

Réduire la bureaucratie

Ursula von der Leyen a indiqué aux journalistes qu’elle avait reçu un “message très clair de la part des entreprises européennes, qu’il y a trop de complexité” dans la réglementation de l’UE, en grande partie en raison des nouvelles lois relatives au climat.

La simplification de la législation en matière de finance durable, de due diligence et de taxonomie — le “paquet omnibus” — sera la première d’une série, a assuré l’Allemande, promettant que ces mesures permettront aux entreprises d’économiser 37 milliards d’euros par an d’ici à 2029.

Ces projets ont alarmé les défenseurs du climat et d’autres. Ils craignent que le nouveau programme de déréglementation de Bruxelles donne la priorité à l’innovation et à la croissance, plutôt qu’à l’environnement, et fasse écho aux demandes des conservateurs — notamment la possibilité d’autoriser les e-carburants pour maintenir en vie les voitures à moteur thermique, et la “simplification” de la taxe carbone aux frontières.

Maintenir le cap sur le climat

Ursula von der Leyen a insisté sur le fait que l’Union européenne “maintient le cap sur les objectifs du Pacte vert européen” et que les objectifs climatiques ne changeront pas. La Commission a même réorganisé certains paragraphes lors de la rédaction de la boussole, pour mettre l’accent sur l’innovation et la décarbonation.

La transition écologique de l’industrie traditionnelle et le développement de nouvelles technologies respectueuses du climat sont au cœur de la boussole pour la compétitivité. Des mesures plus détaillées sur la manière d’y parvenir sont attendues dans le Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal), qui doit être présenté le 26 février.

Comme prévu, la Commission se concentrera également sur “l’efficacité des ressources et la promotion de l’utilisation circulaire des matériaux”, ce qui indique que les sujets de niche liés à la durabilité, tels que le recyclage et l’écoconception, sont hautement stratégiques. On savait que la législation sur l’économie circulaire (Circular Economy Act) ne verrait pas le jour avant 2026, et la boussole confirme les plans de la Commission pour le dernier trimestre.

Voitures contre objectifs climatiques

Se pliant aux demandes d’indulgence des constructeurs automobiles face aux amendes imminentes pour non-respect des nouveaux objectifs en matière d’émissions, le document promet “des solutions immédiates pour préserver la capacité d’investissement de l’industrie, en examinant les flexibilités possibles”.

Ces dernières seront négociées lors d’un dialogue stratégique avec la filière automobile qui débutera jeudi. L’ACEA, le lobby européen du secteur, estime que les constructeurs devront payer 15 milliards d’euros d’amendes si la Commission n’agit pas.

Le commissaire à la Stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, a fait pression pour que cette formulation soit incluse, malgré les objections du commissaire au Climat, Wopke Hoekstra, relate un responsable européen au fait des discussions et à qui l’anonymat a été accordé, parce qu’il n’est pas autorisé à faire des commentaires.

Prix de l’énergie

Les entreprises européennes paient l’électricité et le gaz beaucoup plus cher que leurs homologues américaines et chinoises. C’est un problème, et von der Leyen souhaite y remédier.

En bref, son plan consiste à investir dans plus de réseaux et à les relier entre eux, ainsi qu’à modifier la manière dont les contacts sont établis et les frais facturés.

Cela coûte de l’argent et, jusqu’à présent, il n’y en a pas beaucoup. L’UE ne peut pas non plus, d’un coup de baguette magique, faire en sorte que certaines de ses autres réformes préférées se réalisent du jour au lendemain.

Néanmoins, l’ambition est là, ce qui a encouragé les lobbies des secteurs de l’énergie et de l’industrie. Mais les détails essentiels restent à venir : à commencer par un plan d’action pour une énergie abordable, attendu pour la fin du mois de février.


Faire des innovations de rupture

Von der Leyen a déclaré qu’améliorer la compétitivité signifie “que nous devons vraiment nous concentrer davantage sur l’innovation de rupture et les technologies de rupture”. Elle promet une stratégie pour les start-ups et les scale-ups, ainsi qu’une “vaste stratégie en matière d’IA pour notre continent”.

Le plan de 500 milliards de dollars du président américain, Donald Trump, pour des infrastructures d’intelligence artificielle, et l’émergence d’un modèle d’IA à bas prix, celui du chinois DeepSeek, montrent que la course mondiale est lancée. L’UE veut entrer dans la compétition et a besoin de puissance de calcul, d’une infrastructure cloud et d’un accès aux données, selon le document.

La Commission a déjà financé des usines d’IA et des supercalculateurs optimisés pour cette technologie. Elle prévoit de poursuivre, avec un plan de développement du cloud et de l’IA pour permettre l’entraînement de très grands modèles d’IA, attendu à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Bruxelles tentera également de remédier à la faible adoption de l’IA par les entreprises (13% d’entre elles, seulement, utilisent cette technologie à ce jour). Une stratégie d’application de l’IA, attendue dans le courant de l’année, vise à remédier à cette situation.

Prendre des mesures se traduit par de nombreux plans d’action pour la tech, Ursula von der Leyen promettant des stratégies pour les matériaux avancés, les technologies quantiques, les biotechnologies, la robotique et les technologies spatiales, autant de “composantes des marchés du futur”.


Avec quel argent ?

L’UE prévoit de faciliter l’accès des entreprises aux financements privés, en avançant dans la création d’une union des marchés de capitaux, longtemps discutée mais jamais achevée, et désormais rebaptisée “union de l’épargne et de l’investissement”.

Concrètement, cela signifie que les programmes d’investissement de l’UE seront élargis et que la Banque européenne d’investissement sera sollicitée pour offrir davantage de garanties publiques, de prêts et même des prises de participation, à commencer par un nouveau fonds destiné à aider les entreprises à racheter des sociétés en croissance ou à soutenir leur entrée en Bourse.

L’exécutif européen travaille également sur un 28e code des affaires (en plus des 27 codes des Etats membres), offrant une alternative aux systèmes nationaux fragmentés et qui couvrira “les aspects du droit des sociétés, de l’insolvabilité, du droit du travail et du droit fiscal”.

Si la boussole encourage une meilleure coordination des investissements des gouvernements nationaux, elle manque d’un plan clair sur d’autres sources communes de financement. Elle ouvre toutefois la voie à une réaffectation des fonds régionaux — souvent utilisés pour construire des écoles et des ponts — à des technologies essentielles.

Ce n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Ursula von der Leyen a soutenu l’idée de lier le financement public, dans le cadre du prochain budget de l’UE (2028-2034), à la mise en œuvre de réformes économiques clés qui rendront les pays plus compétitifs.


Acheter européen

Les gouvernements pourraient favoriser le made in Europe, via les réformes prévues des marchés publics. Cela pourrait donner un coup de pouce aux entreprises européennes, mais irriter les partenaires commerciaux, puisque ces appels d’offres représentent 14% du PIB de l’UE. A l’instar de la taxe carbone aux frontières ou de la réglementation sur la déforestation, ces mesures pourraient s’apparenter à un protectionnisme pur et simple.

L’exécutif européen prévoit également de mettre en place une plateforme industrielle pour l’achat de matières premières stratégiques. L’Union européenne dépend des importations de métaux rares, tels que le lithium utilisé dans les batteries des véhicules électriques — dont la Chine, leader du secteur, domine à la fois l’approvisionnement et la transformation.

Une stratégie pour l’industrie

La politique de la concurrence est “un levier important”, d’après le rapport, proposant une révision des lignes directrices sur les fusions d’entreprises, afin de tenir compte de l’innovation et de “l’intensité de l’investissement” dans les secteurs stratégiques.

Les industries de la sidérurgie et la métallurgie recevront au printemps un plan d’action qui couvrira les investissements, les intrants et l’utilisation de mesures de défense commerciale contre les importations bon marché. La chimie aura droit à un plan similaire vers la fin de l’année.

Un outil de coordination de la compétitivité vise à réunir des chefs de gouvernement de l’UE et à flécher l’argent vers des objectifs industriels communs, en s’appuyant sur les projets importants d’intérêt européen commun (les Pieec) qui ont financé des projets relatifs à l’hydrogène, aux batteries et aux semi-conducteurs.


Des trains et des bateaux

Un plan pour le transport ferroviaire à grande vitesse sera présenté cette année afin de “renforcer la connectivité ferroviaire transfrontalière de l’UE”, selon le document final. Une stratégie portuaire européenne est également prévue cette année, ainsi qu’une stratégie maritime industrielle.

L’aviation n’est pas mentionnée, mais l’attention se portera probablement sur le plan d’investissement dans les transports durables, prévu pour le troisième trimestre. Celui-ci devrait stimuler les investissements dans les carburants durables pour l’aviation, ainsi que dans d’autres carburants bas carbone pour les transports.

Santé

La législation européenne sur les biotechnologies (European Biotech Act) fournira un cadre prospectif “propice à l’innovation” dans les essais cliniques, selon le document, abandonnant ainsi une suggestion faite dans les précédentes versions provisoires d’une refonte plus radicale des réglementations sur les essais cliniques. La stratégie des sciences de la vie a été prévue pour le deuxième trimestre, et une législation sur les médicaments essentiels (Critical Medicines Act) sera présentée d’ici la mi-mars. La nouvelle version provisoire mentionne également des mesures à court terme visant à simplifier les règles relatives aux dispositifs médicaux.

Renforcer la défense

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Bruxelles et les gouvernements de l’UE ont exhorté les entreprises de défense à augmenter leur production. Mais celles-ci se sont plaintes que les règles et réglementations actuelles étaient trop lourdes, et qu’il était trop difficile de trouver des financements. L’élan de simplification pourrait les aider.

L’une de leurs principales demandes à Bruxelles est d’“optimiser les instruments horizontaux pour la défense”, comme l’a suggéré l’année dernière le lobby des industries aérospatiales et de défense, l’ASD. Les entreprises de défense vont probablement commencer à faire pression sur l’exécutif européen pour s’assurer que leur secteur soit au moins pris en compte, voire érigé en priorité dans les futures propositions.

Pas de changement pour l’agriculture

Dans les petits caractères de la boussole pour la compétitivité, on trouve quelques modestes clins d’œil à l’agriculture — parce qu’il est peu probable qu’elle soit le prochain moteur économique de l’Europe.

La stratégie vise à encourager l’esprit d’entreprise dans le secteur agricole et à relier l’agriculture à la bioéconomie. Mais soyons réalistes : personne ne s’attend à ce que les agriculteurs se mettent à créer des start-ups licornes. Néanmoins, la Commission souhaite accroître l’efficacité et alléger la charge administrative qui pèse sur les agriculteurs et les régulateurs.

Une vision pour l’agriculture et l’alimentation sera présentée le 19 février, promettant durabilité et résilience. L’UE entend également réduire les formalités administratives et promouvoir les principes de l’économie circulaire. Mais cette vision apportera-t-elle de réels changements ? Il faut s’attendre à des consultations, à des stratégies et à des ajustements, mais pas à des changements radicaux.

Marianne Gros, Zia Weise, Gabriel Gavin, Pieter Haeck, Giovanna Faggionato, Gregorio Sorgi, Kathryn Carlson, Douglas Busvine, Jordyn Dahl, Tommaso Lecca, Aoife White, Rory O’Neill, Laura Kayali, Bartosz Brzeziński, Aude van den Hove, Francesca Micheletti, Giovanna Coi et Hanne Cokelaere ont contribué à cet article.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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