BRUXELLES — Les diplomates de l’Union européenne aux Etats-Unis ont engagé un important cabinet de lobbying, proche des républicains et de la première administration Trump, pour les conseiller sur leur stratégie de communication en matière de commerce et d’investissement, selon des documents vus par POLITICO.
“DCI Group AZ, L.L.C, conseillera la délégation de l’Union européenne aux Etats-Unis en matière de communication et de stratégie d’engagement public pour les parties prenantes externes, en mettant l’accent sur la promotion du commerce et des investissements de l’UE aux Etats-Unis”, indique le formulaire déposé au registre des agents étrangers des Etats-Unis (FARA) le 1er novembre 2024.
Cette déclaration a été déposée quelques jours avant la victoire de Donald Trump à la présidentielle, le 5 novembre, alors que les 27 Etats membres de l’Union européenne s’efforçaient de comprendre si le républicain allait mettre en œuvre les menaces, proférées pendant sa campagne, visant à ériger un mur de droits de douane pour protéger le marché américain.
Jusqu’à présent, il a frappé toutes les importations de produits chinois d’une taxe de 10%, tout en accordant au Canada et au Mexique un sursis d’exécution pour des taux encore plus élevés. Il n’a pas encore ciblé directement l’Union européenne, mais il a qualifié sa politique commerciale d’“atrocité” et souhaite que le Vieux Continent achète davantage de gaz, de voitures et de produits agricoles américains.
Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, doit encore rencontrer des représentants de l’administration Trump.
DCI Group a indiqué avoir signé un contrat avec la délégation de l’UE —qui travaille sous les auspices du service diplomatique de l’Union — en octobre 2024, selon la déclaration faite à la FARA. Ce dernier est exigé à tout groupe promouvant les intérêts de gouvernements étrangers.
Si la délégation de l’UE a cette fois recours à une société de lobbying avec de bonnes relations, c’est parce qu’elle a en mémoire le premier mandat de Trump. A l’époque, l’accès aux responsables de l’administration était difficile pour Bruxelles, qui devait compter sur les ambassades nationales pour se faire une idée plus précise de ce qui se tramait.
“La délégation de Washington a déjà été accusée d’avoir manqué de renseignements par le passé”, se souvient un ancien diplomate européen chargé du commerce extérieur, qui s’exprime sous couvert d’anonymat en raison du caractère sensible de la question. DCI Group ne sera peut-être pas en mesure d’offrir un accès au plus haut niveau, mais pourra au moins expliquer ce qui se prépare réellement et présenter des personnes influentes au sein du parti républicain, poursuite la même source.
Lorsque nous lui avons demandé si la délégation de l’UE avait engagé DCI Group à titre préventif pour faire face à une deuxième présidence Trump, le service diplomatique de Bruxelles ne nous a pas répondu.
La durée du contrat entre DCI Group et la délégation de l’UE reste floue, tout comme la somme déboursée par le service diplomatique pour bénéficier de ces prestations de lobbying.
Lorsque ces questions ont été posées au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le service diplomatique de l’UE, celui-ci a répondu : “La délégation de l’UE aux Etats-Unis mobilise différentes ressources pour améliorer la sensibilisation du public à travers les Etats-Unis. DCI conseille actuellement la délégation sur la communication grand public, en mettant l’accent sur la promotion du commerce et des investissements de l’UE aux Etats-Unis.”
Interrogé, le SEAE a refusé d’indiquer s’il avait déjà travaillé avec DCI Group auparavant.
Des clients sulfureux
Le cabinet est bien connu à Washington. Au milieu de sa campagne de 2016, Donald Trump a engagé son ancien président, Jim Murphy, comme directeur politique national.
Depuis sa création en 1996, DCI Group a également travaillé pour le compte de la junte militaire en Birmanie, des intérêts de l’Azerbaïdjan aux Etats-Unis, et d’industries allant du tabac aux télécommunications, en passant par les fonds spéculatifs et les entreprises énergétiques.
Le ministère de la Justice américain enquête actuellement sur une vaste affaire criminelle liée au piratage de défenseurs du climat, qui aurait eu lieu à la demande de DCI Group pour Exxon Mobil, l’un des principaux clients de l’entreprise à l’époque des faits présumés.
Aucune des deux sociétés n’a été accusée d’actes répréhensibles par les autorités américaines, et toutes deux ont nié avoir eu connaissance du piratage ou y avoir été impliquées. “La société n’a été accusée d’aucun acte répréhensible”, a affirmé Craig Stevens, associé chez DCI Group, dans une déclaration écrite. “Nous demandons à tous nos employés et consultants de se conformer à la loi.”
Selon les dernières informations remplies par DCI Group dans sa déclaration des activités de lobbying au Sénat américain, le cabinet travaille pour le EN+ Group, un producteur d’aluminium qui figurait sur une liste de 38 entités russes sanctionnées par les Etats-Unis en réponse à l’ingérence de Moscou dans ses élections, aux violences en Ukraine, à la cybercriminalité et à la fourniture d’armes à la Syrie. Les sanctions contre EN+ Group ont été levées en 2019.
Parmi les autres clients de DCI Group figurait SCM Consulting Limited, une entité appartenant à l’homme le plus riche d’Ukraine, Rinat Akhmetov. L’oligarque a été accusé par le président Volodymyr Zelensky d’avoir organisé un coup d’Etat en Ukraine, ce que Akhmetov a qualifié de “mensonge absolu”.
DCI Group n’a pas révélé le montant du contrat dans le document public. Interrogée sur la durée, la portée et les précédents d’un tel contrat, la société s’est refusée à tout commentaire.
Questionné sur la manière dont le cabinet gérerait les conflits d’intérêts potentiels avec sa mission de représentation des intérêts de l’UE, DCI Group a, une fois encore, décliné tout commentaire.
Douglas Busvine a contribué au reportage.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.