Les dirigeants européens craignent que Bruxelles mette la main sur la défense après la sortie de Trump

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BRUXELLES — L’Union européenne se prépare à ouvrir les vannes des dépenses militaires. Mais pour les gouvernements, il n’est pas seulement question d’argent.

Une réunion d’urgence des dirigeants européens jeudi pour déterminer comment renforcer la sécurité de l’Europe, alors que le président américain Donald Trump menace de se désengager militairement du continent, devrait être l’occasion de faire une démonstration d’unité. Mais au lieu de cela, il semble qu’une prise de pouvoir se profile à l’horizon.

Les gouvernements nationaux craignent que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’exploite cette crise pour étendre les pouvoirs de Bruxelles à de nouveaux domaines et renforcer son influence sur eux.

Pendant la pandémie de Covid, elle a mis les pays à l’écart pour acheter des vaccins en leur nom et, au début de la guerre en Ukraine, elle a pris l’initiative des sanctions contre la Russie et des livraisons d’armes à Kiev. Cette approche centralisatrice lui a valu le surnom de “reine Ursula”.

Les dirigeants européens ne veulent pas que cela se reproduise sur une question aussi sensible que les dépenses de défense.

“La défense reste une responsabilité nationale”, a rappelé la semaine dernière un diplomate européen pour expliquer l’opposition de son pays à la création d’un fonds pour la défense géré par la Commission. Comme d’autres personnes interrogées dans le cadre de cet article, l’anonymat lui a été accordé pour parler d’un sujet sensible.

Des pays comme la Pologne et la Finlande, en particulier, veulent protéger leur défense contre les tentatives d’expansion de la Commission.

“La Pologne a une idée claire de sa volonté d’agir en dehors de la Commission”, selon un deuxième diplomate européen d’un autre pays.

Ce dernier ajoute cependant que ces arguments ne sont en fait qu’une “feuille de vigne pour cacher des questions plus sensibles, comme le fait que les Etats membres ne veulent pas que quelqu’un d’extérieur leur dise ce qu’ils doivent faire”.

Des pays comme la Pologne et la Finlande, en particulier, veulent protéger leur défense contre les tentatives d’expansion de la Commission. John Thys/AFP via Getty Images
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Les tensions atteindront leur paroxysme lors de la réunion d’urgence des dirigeants européens le 6 mars, von der Leyen ayant annoncé qu’elle présenterait un “plan global pour réarmer l’Europe”.

Un document provisoire, préparé par les gouvernements européens pour cette réunion, vu par POLITICO, exhorte la Commission à donner aux Etats une plus grande marge de manœuvre budgétaire “sans délai” et à proposer des “sources de financement supplémentaires” pour la défense “au niveau de l’UE”, y compris en rendant possible la réorientation des Fonds de développement régional. Ils appellent l’exécutif européen à “présenter rapidement des propositions pertinentes”.

Selon ce document, la Commission proposera différentes “options de financement” dans une lettre adressée aux dirigeants européens.

L’effet Trump

Cette semaine, von der Leyen expliquera comment elle compte assouplir les règles de l’Union en matière de dépenses publiques afin de permettre aux Etats d’exempter les dépenses militaires des limites de déficit budgétaire — que Bruxelles contrôle de près —, d’après plusieurs responsables européens, alors que l’UE craint de plus en plus de voir Trump abandonner l’Ukraine et l’Europe.

Les Vingt-Sept sont toutefois divisés sur les détails de la “clause dérogatoire nationale”, un mécanisme d’urgence conçu pour alléger la pression sur les pays confrontés à une situation d’urgence soudaine.

Ursula von der Leyen a indiqué que ce mécanisme serait appliqué “de manière contrôlée et conditionnelle”, afin d’empêcher un dérapage des dépenses par les Etats très endettés.

Mais des pays frugaux, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, ainsi que des poids lourds militaires, comme la Grèce, veulent limiter la clause d’urgence à ceux qui consacrent déjà plus de 2% de leur PIB à la défense, afin d’inciter les autres à atteindre cet objectif.

Cette idée a suscité la colère des Etats qui n’ont pas atteint cet objectif, notamment l’Italie et l’Espagne.

“C’est absurde, car cela empêcherait les pays qui ont le plus besoin d’augmenter leurs dépenses de le faire”, pointe un troisième diplomate européen.

Une autre proposition, défendue par la Pologne, consiste à accorder plus de flexibilité aux gouvernements nationaux, en élargissant la définition des dépenses de défense dans les règles de l’UE.

Cette option permettrait aux Etats membres de décider de façon indépendante des investissements à exempter, ce qui limiterait le rôle de contrôle de la Commission et permettrait potentiellement des dépenses illimitées.

Un quatrième diplomate a mis en garde contre le fait que “la Commission s’arroge[rait] plus de pouvoir” si cette idée ne se concrétisait pas.

Fonds de défense

Toutefois, modifier les règles de l’UE en matière de dépenses ne sera guère suffisant pour atteindre le niveau de financement nécessaire pour répondre aux besoins accrus de l’Union dans ce domaine.

La question la plus importante à laquelle les gouvernements seront confrontés à l’avenir est de savoir comment créer un pot commun qui permettra de soutenir les investissements à long terme dans le domaine de la défense.

Von der Leyen a récemment proposé un outil européen pour fournir des programmes d’armement clés, tels que des missiles, des drones et des défenses aériennes intégrées.

Elle a toutefois omis de préciser si l’instrument devrait être financé par un emprunt commun au niveau européen — cette idée aussi divise les Vingt-Sept.

Des Etats très endettés comme l’Italie et l’Espagne soutiennent l’émission d’une dette commune de l’UE — qui est de fait de l’argent gratuit — pour la défense.

Une autre idée, lancée publiquement par le commissaire à l’Economie Valdis Dombrovskis, consiste à réaffecter au financement de la défense 93 milliards d’euros de prêts non utilisés dans le cadre du programme post-Covid de l’UE.

Mais pour certains pays, comme la Pologne, un fonds distinct ou une banque de développement en dehors du cadre de l’UE serait une solution plus attrayante.

Ces options permettraient à des pays, tels que le Royaume-Uni et la Norvège, de se joindre aux efforts de Bruxelles, et pourraient être plus réalisables qu’un instrument européen, qui devrait être approuvé à l’unanimité par les 27 gouvernements de l’UE, y compris par Viktor Orbán, l’homme fort prorusse de la Hongrie.

“A quel putain de moment on va convaincre la Hongrie ?” tacle un cinquième diplomate européen.

Jacopo Barigazzi a contribué à cet article.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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