PARIS — Une personnalité qui a fait carrière dans la banque : est-ce le bon profil pour redresser les finances publiques à la dérive de la France ? Apparemment, oui.
Lundi, Eric Lombard a été nommé au poste difficile de ministre de l’Economie et des Finances dans le gouvernement du Premier ministre François Bayrou.
Agé de 66 ans, il occupait jusqu’à présent le poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le bras financier de l’Etat.
Lombard doit désormais s’atteler à la tâche politiquement délicate de préparer le budget de l’Etat pour 2025, et pour laquelle il sera épaulé par sa ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, ancienne députée et ministre macroniste.
Le texte devra à la fois permettre de réduire le déficit du pays, tout en assurant aux marchés financiers et à la Commission européenne que les fondamentaux de l’économie tricolore ne seront pas remis en cause dans le processus.
“Je sais la difficulté de la tâche”, a-t-il déclaré lors de la passation de pouvoir avec Antoine Armand au ministère de l’Economie lundi soir, s’engageant à “réduire le déficit sans tuer la croissance”.
Un ancien banquier
Contrairement à nombre de ses prédécesseurs, le nouveau ministre n’a pas fait carrière dans la politique. Il a donc potentiellement l’avantage d’être libre de toute affiliation partisane qui entrave souvent les efforts de réforme.
Dans les milieux économiques français, Lombard s’est déjà forgé une réputation d’un technicien habile et pragmatique, qui s’intéresse depuis longtemps à la politique.
“Il a très très envie de faire de la politique depuis très très longtemps”, confie un interlocuteur régulier du néoministre, à qui l’anonymat a été accordé pour qu’il puisse s’exprimer librement.
Avant de rejoindre la Caisse des dépôts, Eric Lombard était à la tête de la filiale française du géant italien de l’assurance Generali, jusqu’à ce que le directeur général du groupe, Philippe Donnet, le remplace par Jean-Laurent Granier.
Auparavant, Lombard a travaillé pendant près de vingt ans chez BNP Paribas, où il a occupé divers postes de haut niveau, notamment en tant que président de la branche assurance.
Fin connaisseur de l’administration
Mais c’est son passage à la CDC qui l’a probablement le mieux préparé à prendre les rênes de Bercy, compte tenu de la tendance du gouvernement à intervenir directement dans l’économie, en particulier dans les secteurs stratégiques.
Du fait de son expérience au sein de l’institution, Lombard sait ce que c’est que de travailler sous contrôle public, en raison du rôle de la caisse dans l’allocation des investissements publics. Les 3,9 milliards d’euros de bénéfices enregistrés par la CDC l’an dernier, dont 2,5 milliards ont été reversés à l’Etat, jouent en sa faveur.
“Il a un grand sens politique et de fortes convictions appuyés par une grande compétence financière et managériale”, décrit l’homme d’affaires Bernard Spitz, qui a cofondé avec Lombard le groupe de réflexion social-libéral “les Gracques”.
“Il saura juger de façon indépendante et aura la confiance des marchés, en France et à l’étranger : c’est majeur dans la situation financière actuelle du pays”, souligne-t-il auprès de POLITICO.
Qui penche à gauche
Ceux qui le connaissent ajoutent que Lombard est un passionné de musique qui, bien qu’issu d’une riche famille d’industriels et de collectionneurs d’art moderne, penche à gauche sur le plan politique.
En effet, bien qu’il ait passé la majeure partie de sa carrière dans le secteur privé, Eric Lombard s’est frotté au service public en tant que conseiller de l’ancien ministre socialiste des Finances, Michel Sapin.
Grâce à cette fonction, Lombard a acquis une expérience de l’administration, en particulier de Bercy.
Après la censure du gouvernement Barnier, votée au début du mois par les députés du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire, le projet de loi de finances pour 2025, qui était en cours d’examen au Parlement, est passé à la trappe.
François Bayrou espère désormais faire passer un budget d’ici la mi-février.
Entre-temps, le gouvernement sortant a fait adopter une loi spéciale, qui applique pour 2025 les ordres de grandeur budgétaires de 2024, afin d’assurer la continuité des services de l’Etat et éviter un shutdown à l’américaine en janvier.
Mais ce budget provisoire ne fait rien pour réduire le déficit de la France, qui a atteint 6,2% du PIB cette année, soit le double du niveau autorisé par les règles de l’UE. La France fait déjà l’objet d’une procédure de déficit excessif à Bruxelles pour ne pas avoir respecté les limites fixées par les traités européens en 2023.
Capable de créer des liens avec les socialistes ?
Pour l’instant, rien n’indique que François Bayrou réussira là où Michel Barnier a échoué. N’ayant pas réussi à obtenir le soutien des socialistes, le nouveau Premier ministre doit compter sur la même et fragile coalition parlementaire que celle qui était derrière son prédécesseur. Composée des macronistes et des Républicains, elle n’a pas été suffisante pour empêcher la chute du gouvernement Barnier.
Certains dans le camp présidentiel espèrent néanmoins que la nomination d’Eric Lombard contribue à jeter un pont avec la gauche. Un stratège macroniste est même allé jusqu’à qualifier la doctrine économique du néoministre de “pure social-démocratie”.
Au-delà de son rôle auprès de Michel Sapin, le fait qu’il se décrive lui-même comme “de gauche” dans un livre qu’il a écrit il y a deux ans est un autre indicateur de son orientation politique, d’après Le Monde. Dans son discours de passation de pouvoir lundi, Eric Lombard a promis de “travailler à une meilleure répartition des revenus” et a appelé à plus de “justice sociale”.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.