SAINT-AVOLD — Le 5 juin, les salariés de la centrale à charbon de Saint-Avold ont joué leur va-tout. Inquiets pour leur avenir, et après avoir mobilisé des politiques de tous bords pendant la campagne des européennes, ils se sont mis en grève, réclamant une “feuille de route claire” à Emmanuel Macron pour la reconversion du site mosellan, promis à la fermeture.
Quatre jours plus tard, ce dernier semait le doute en annonçant la dissolution. Depuis, il n’a pas répondu à leur demande.
En attendant, les ouvriers rongent leur frein. Le sentiment de mépris grossit et le Rassemblement national engrange des points.
S’ils espèrent que les résultats des élections permettent de faire bouger les choses, ils constatent aussi le retard pris. Pour Lucas, un des salariés, qui n’a donné que son prénom comme tous les autres : “Ces législatives, c’est quitte ou double.”
La promesse non-tenue d’Emmanuel Macron
A l’entrée de la centrale, un empilement de pneus, vestige d’un blocage, et cette banderole : “Macron, le charbon de la désillusion”.
Pour comprendre leur colère, il faut remonter en 2022, lorsque la centrale a été débranchée — définitivement, pensait l’exécutif à l’époque — et les 87 salariés licenciés.
Quelques mois plus tard, devant les menaces sur l’approvisionnement énergétique du pays, la centrale est remise en service et les salariés sont rappelés. Depuis, la chaudière dépanne le système électrique quelques jours chaque hiver, puis est maintenue en état par les salariés le reste de l’année, avec peu de visibilité d’une année sur l’autre.
Une seule limite est connue : la sortie du charbon, annoncée pour 2027 par Emmanuel Macron. Et la reconversion des deux dernières centrales existantes, Saint-Avold et Cordemais, à la biomasse. Sauf que depuis, l’exécutif temporise.
“On se rend compte que ça n’avance plus”, s’inquiète Catherine Belrhiti, sénatrice LR de Moselle.
Les salariés attendent du gouvernement un calendrier et un soutien clair aux projets portés par l’opérateur du site, GazelEnergie, filiale du tchèque Daniel Křetínský : une cocombustion mi-charbon, mi-bois, et une usine de production d’hydrogène bas-carbone, Emil’Hy.
Interrogé récemment, le cabinet de Roland Lescure assurait être mobilisé et plaidait la nécessité de prendre le temps d’étudier les dossiers.
“La promesse d’Emmanuel Macron, c’est un effet d’annonce sans réflexion sur la faisabilité, estime Loïc Schwindling, référent local des Ecologistes. Pour nous, c’était une pilule pour faire passer la réouverture de la centrale alors qu’il s’était vanté de sortir du charbon.”
Amertume et attentisme
Interpelé par Alexandre Loubet, député RN du coin, Roland Lescure avait accusé le parti de Marine Le Pen de vendre un “avenir passéiste et polluant”. Une formule que les salariés n’ont pas digéré.
Elle a nourri le sentiment d’être déconsidéré : “Macron nous jette et nous rappelle quand il en a besoin”, déplore Julien, un autre salarié.
Ils jugent que la fermeture de leur centrale obéit à un affichage politique. Car, depuis le toit, ils voient les centrales allemandes cracher leur CO2 de l’autre côté de la frontière.
“Quand la France dit qu’elle sort du charbon, c’est faux”, commente Thomas About, délégué CFDT, qui rappelle que le pays importe régulièrement de l’électricité produite grâce à la lignite allemande. “On est les premiers à dire qu’il faut sortir du charbon, mais avec une transition juste.”
Pour les salariés, ces attentes et soubresauts sont brutaux à vivre. “En 2022, quand on s’est tous retrouvés à la maison à tourner en rond, ça a été un choc, raconte Grégory. Les familles aussi ont morflé, c’est dur de se projeter.”
Le RN empoche la mise
Sur ces lenteurs et hésitations, le Rassemblement national capitalise.
Lorsque les salariés ont décidé de faire feu de tout bois en mobilisant les élus locaux, et en interpellant les candidats aux élections européennes, le président du RN, Jordan Bardella, a été le premier à se rendre sur place dès le 7 mai.
Il était conseillé par Alexandre Loubet qui, en plus d’être le local de l’étape, a également été son directeur de campagne.
Ont suivi François-Xavier Bellamy (LR) et Marine Tondelier (Ecologistes), puis le candidat local du Nouveau Front populaire, l’écolo Luc Muller.
Là où le gouvernement crie à la récupération politicienne, les salariés assument d’avoir cherché à faire de la campagne une caisse de résonnance. “On joue avec nos cartes”, plaide Damien, dix-huit ans de travail à la centrale.
“Si on n’avait pas mis en lumière la centrale avec Jordan Bardella, j’ai bien peur que le gouvernement ait laissé ce site fermer”, défend Alexandre Loubet, qui rappelle que le parti soutient expressément la conversion à la biomasse et l’hydrogène vert dans son programme. Programme qui repousse également la sortie du charbon à 2035.
Les salariés sont nombreux à partager son avis. “Depuis Bardella, tout le monde est venu, constate Lucas. C’est bien qu’il y avait du je-m’en-foutisme au départ.”
Dans cette circonscription de Moselle, le RN a empoché 48,64% des suffrages aux européennes.
“Ça a secoué le cocotier”
Après l’afflux de caméras et de candidats, quel résultat ? “J’ai l’impression que ça a un peu fait bouger les choses, répond prudemment Antonin Arnoux, directeur de la centrale chez GazelEnergie. Il y a eu plus de réunions à Bercy, plus de dialogue.”
“Ça a secoué le cocotier”, renchérit le maire René Steiner.
Mais cette campagne, c’est aussi des réponses repoussées de plusieurs mois, un travail de sensibilisation auprès des parlementaires et conseillers ministériels qu’il faudra reprendre en cas de changement de majorité.
Or le temps manque. Pour convertir la centrale d’ici à 2027, il faut trancher cette année, presse GazelEnergie. Plus tard, ce sera trop tard : les contrats des salariés s’achèvent en mars 2025.
“On sait ce qu’on a mais pas ce qu’on va récupérer, tempère Thomas About. Ça se passait mal à Bercy mais rien ne dit que ça se passera mieux.”